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L’Equipe, c’est genre le magazine qui est né avant le football. Avant même Aimé Jacquet, c’est pour dire. Ca peut aussi être le magazine gentillet que l’amateur de sport parcourt le matin avec le café (sans sucre) et les croissants (au beurre). Mais c’est aussi un monopole, celui de la presse sportive, qui dure depuis des années et qui renvoie ses adversaires en Division d’Honneur. Analyse d’une aventure qui sent bon le tacle par derrière.

Critiquer L’Equipe n’est pas rien. Beaucoup consultent leur site quotidiennement ou sont abonnés au magazine papier, moi le premier. C’est tout de même le troisième quotidien le plus lu en France. Dans ce dossier, nous ne parlerons que du côté « football » de ce monopole, même si on peut facilement généraliser les informations données dans la suite.

Les reproches que nous pouvons leur faire sont nombreux. Ils comprennent entre autre fautes d’orthographe et partialité. Mais nous nous attachons à pointer du doigt d’autres points : Concurrence, Equipe de France, Débat sur la vidéo et pertinence des informations. Fight.

Concurrence

Créé le 3 novembre 2008 par Michel Moulin, Le 10 Sport a pris le pari de détrôner L’Equipe. David Garcia, auteur de La face cachée de L’Equipe, explique comment le groupe Amaury s’y est pris pour couler ce rival qui s’en est allé, la fleur au fusil, chatouiller le monopole de L’Equipe. Il nous éclaire.

La concurrence est arrivée au plus mauvais moment pour L’Equipe. Baisse des ventes de 5% en 2006, 8,5% en 2007, bénéfice divisé par deux en 2007. Pire, en période de crise économique et d’incertitudes politiques, les lecteurs achètent moins de journaux sportifs. On avait vu ça après le 11 septembre 2001, l’année 2002 avait été mauvaise pour L’Equipe. En plus l’Equipe de France avait été éliminée lors du premier tour la coupe du monde 2002. En 2008, l’annulation du rallye Paris-Dakar a coûté 500 000 euros au groupe Amaury et l’Euro de football a été très moyen pour L’Equipe en terme de ventes.

Heureusement pour L’Equipe, la concurrence n’a pas passé l’hiver et Le 10 Sport est passé au format hebdomadaire en mars 2009. Si Le 10 Sport a échoué, c’est en partie à cause d’Aujourd’hui Sport. « AS » est un « killer project », monté en à peine trois semaines par le groupe Amaury, propriétaire de L’Équipe, France Football et Le Parisien, afin de contrer l’offensive de Michel Moulin et préserver le monopole de son titre-phare. Né pour finir croqué par l’ogre, le petit frère de L’Équipe lui « emprunte » plusieurs de ses rédacteurs. Dans les jours qui précèdent le lancement, certains journalistes, parmi la trentaine qui compose la rédaction, portent des t-shirts « Commando 10 », qui disent tout de la mission d’Aujourd’hui Sport : tuer Le 10 Sport.

Le premier numéro paraît le 3 novembre 2008, comme Le 10 Sport. Le prix de vente est fixé à 0,50 €, comme Le 10 Sport. Le contenu fait la part belle au foot, comme Le 10 Sport. La diffusion s’établit à quelque 35.000 exemplaires, un poil mieux que Le 10 Sport, qui avait besoin de minimum 80.000 tirages quotidiens pour devenir rentable.

Quatre mois et demi plus tard, la mission est accomplie : le quotidien de Michel Moulin a disparu. « AS » peut disparaître à son tour, même si certains, au sein du groupe Amaury ou du quotidien, auraient bien aimé poursuivre l’aventure quelques mois supplémentaires. « Les perspectives de marché, tant en vente qu’en publicité, ne permettent pas d’assurer à ce titre une viabilité économique à moyen terme« , résume le communiqué officiel d’Amaury. Pathétique.

Autre anecdote ? A l’époque de la création du journal Le Sport, L’Equipe était passée à la couleur le jour même où son adversaire voyait le jour.

La relative faiblesse de la concurrence (trois tentatives seulement en 40 ans, de 1946 à 1988, rien depuis 20 ans, jusqu’à l’apparition du 10 Sport) et le moindre engouement des lecteurs français pour le sport, comparé aux pays du anglo saxons et du nord de l’Europe (où il n’existe pas de quotidien spécialisé sur le sport, les généralistes consacrent une large place au sport) et du sud, Italie et Espagne, où il existe respectivement 3 et 2 quotidiens de sport, expliquent enfin cette hégémonie, en gros.

Autre exemple : le groupe Amaury a attaqué des petits commerçants anglais sur l’utilisation du terme « Golden Balls » qui est trop proche de « Ballon d’Or », déposé par les français via France Football. Les deux business ne sont pourtant pas les même. Voici la vidéo où les commerçants anglais de justifient :

Qu’est-ce qui fait la force de L’Equipe ?

La grande force de L’Equipe est d’abord liée au fait qu’elle a su inventer des événements pour vendre ses journaux. En 1903, l’ancêtre de L’Equipe, L’Auto, créé le Tour de France qui dope ses ventes en juillet depuis plus d’un siècle.
Dans les années 50, L’Equipe créé la coupe d’Europe des Clubs Champions, renommée au début des années 90 Champion’s League. L’Equipe a aussi créé la Coupe du Monde de ski, la Route du rhum, parrainé le Dakar avant que le groupe Amaury le rachète en 1992. Tous les événements ont transformé l’hebdomadaire en quotidien au fil du temps.

De plus, leur influence est telle que la moindre émission de télé ou de radio désirant s’attacher le concours d' »experts » fait appel à des signatures du journal : Régis Testelin ou Vincent Duluc sont par exemple des habitués de l’émission ‘100% Foot’ (M6). Ses consultants servent à tout le monde, tel Pierre Menès, un ancien de la maison devenu « la » voix du foot dans ‘Aujourd’hui Sport’, sur RTL, M6 et désormais Canal+, quand il n’interviewe pas ses ex-collègues sur son blog.

Débat sur la vidéo

L’Equipe s’est mis en tête de résoudre a lui seul le problème de la vidéo dans le monde, avec un système à appliquer dès la Coupe du Monde en Afrique du Sud. Mieux, ils prétendent « aider les arbitres » qu’ils descendent à tout-va. Je vous invite à lire l’excellent article des Cahiers du Football à ce sujet : http://www.cahiersdufootball.net/article.php?id=3419&t=21

Le « syndrôme » Jacquet

On se souvient du traitement de faveur infligé au sélectionneur national avant 1998. Aimé Jacquet était à l’époque l’entraineur d’une équipe championne de rien, ou presque. Le quotidien n’hésitait donc pas à descendre le sélectionneur à la moindre contre-performance jusuq’à un revirement soudain après le 12 juillet 1998, jour de la victoire en Coupe du Monde. Puis il y a eu Domenech.

L’Equipe a eu peur de critiquer trop fort Domenech depuis sa prise de fonction en 2004, pour cause de syndrome Jacquet. Ils ont peur de se refaire rabrouer en direct par un sélectionneur triomphant. Du coup, plus ou presque de critiques.Après l’Euro 2008, le bilan de Domenech était accablant mais L’Equipe a refusé de donner son avis, des fois que Domenech serait maintenu. Ils ont eu raison, Raymond est toujours là.

Et puis en septembre, changement de ton après l’humiliation subie par les Bleus contre l’Autriche. L’Equipe devient soudain offensive et tire sur l’ambulance quand Domenech semble condamné. Avant de virer sa cuti après le match contre la Roumanie, où elle titre en une « Ca sent bon pour Raymond ». En résumé, ce journal a une ligne acritique depuis 98 et multiplie les coups. Sans aucune cohérence éditoriale, les yeux rivés sur les courbes des ventes, en baisse depuis trois ans.

Pertinence des informations

Ses fausses informations, récurrentes (annoncé « tout près du PSG » en octobre 2008, l’entraîneur Didier Deschamps a finalement signé début mai… à l’OM, ce que le quotidien, cette fois, n’avait pas vu venir), ne sont jamais suivies de la moindre autocritique. Comparé aux nouveaux médias sportifs (le magazine So Foot, le site Les Cahiers du foot…) ou à son propre site Internet, fort de quelques rubriques décalées, le ton du journal souffre d’un classicisme vieillot, son traitement de l’information, d’un parti pris institutionnel derrière lequel transparaissent parfois les connivences entre journalistes et acteurs du monde sportif.

Le site Cahiers du football a, dans un de ses articles, fait une petite remarque sur un compte-rendu fourni après un très passionnant Auxerre-Toulouse cette année et des informations contradictoires et clairement orientées. Voici le contenu :

Jérôme Le Fauconnier, journaliste à L’Équipe, qui dans son compte rendu d’Auxerre-Toulouse mentionne les « interventions intempestives » de l’arbitre, puis dans l’encart « L’avis de l’envoyé spécial » (cet encadré où le journaliste écrit ce qu’il ne peut pas se permettre dans son article) précise « Il n’y avait pas lieu de faire du zèle. Si le deuxième carton infligé à Didot était justifié, le premier, pour une contestation […] ne s’imposait pas forcément. Comment ne pas penser que la main lourde de l’arbitre a influé sur l’évolution du score, puisqu’Auxerre égalisa dans le temps additionnel? »

On est sûrs de ne pas être les seuls à penser que  s’il est bien des cartons jaunes qui s’imposent en football, ce sont les cartons pour contestation. Par contre, Jérôme, il ne t’est pas venu à l’esprit que celui qui avait le plus influé sur l’évolution du score, ça pouvait être Didot ? Mais Jérôme insiste: « En neuf matches arbitrés en Ligue 1, M. Buquet totalise 41 Jaunes et 3 rouges. Ca fait beaucoup ». Soit  4,5 jaunes et 0,33 rouges par match. Quand les moyennes sur la saison sont respectivement de 3,71 et 0,25.

Sur 9 rencontres, difficile d’en sortir une statistique valide quand 4 de ces matches ont concerné des équipes du fin fond du classement du fair-play (Le Mans, Nice, Monaco et Boulogne) et que 25 jaunes et 2 rouges y ont été sortis. Bizarrement, Lorient et Bordeaux, arbitrés par M. Buquet et caracolant en tête du classement du fair-play, n’ont eu droit qu’à un jaune chacun. Ça fait pas beaucoup.

Un futur… en pointillés ?

Depuis plusieurs mois, l’éditeur Lafont Presse promet le lancement de son quotidien Le Foot, pour l’instant repoussé suite à des problèmes d’imprimerie. Un bruit de couloir associe également, au sein d’un même projet de journal low-cost, Michel Moulin et les éditions Hersant. Le groupe Lagardère tâterait à son tour le terrain. Tous auront l’avantage d’arriver après les échecs du 10 et d’Aujourd’hui Sport, d’en avoir tiré les leçons. Pour que la beauté du sport reprenne le dessus sur les impératifs financiers.