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Alors que le scandale du Qatargate vient d'éclater aux yeux du monde et ne fait probablement que commencer, le Qatar, qui accueillera le Mondial 2022, serait déjà en train de préparer une équipe capable de faire bonne figure d'ici là. Comment ? En utilisant ses ressources infinies pour développer des infrastructures lui permettant de former les meilleurs footballeurs du pays, mais aussi en encourageant le talent de jeunes joueurs recrutés grâce à un projet à vocation humanitaire. Retour sur l'Aspire Academy et sur son programme Football Dreams, des projets démentiels qui suscitent autant l'admiration que les doutes quant aux réels buts poursuivis.

Un projet exceptionnel

Bienvenue à l'Aspire Academy

L'Academy ASPIRE a été créée en 2004 à l'initiative de l'Emir du Qatar Hamad ben Khalifa Al Thani. Le projet de base est très simple et répond à un double objectif : d'une part, il s'agit de promouvoir et développer la culture sportive au sein de l'Etat du Qatar, en proposant des programmes et des installations à la pointe de la technologie. D'autre part, il s'agit probablement du plus gros centre de formation de jeunes sportifs jamais créé, avec l'ambition de conduire leurs jeunes sportifs prometteurs vers de grandes carrières internationales. Pour atteindre l'objectif d'excellence, les moyens exceptionnels dont dispose le Qatar ont été mis en œuvre pour construire un gigantesque complexe de plusieurs milliers d'hectares, avec des terrains de football (dont un en salle), des pistes d'athlétisme, une piscine olympique, un bassin de plongeon, des salles de fitness et de musculation, un centre médical, et encore bien d'autres installations exceptionnelles. Et ce n'est pas tout, puisque outre des installations sportives à la pointe de la technologie, des entraîneurs, préparateurs, techniciens, médecins venus du monde entier sont recrutés, parfois même débauchés des plus grands clubs sportifs. En bref, il faut bien comprendre que le Qatar n'a et n'aura probablement pas d'équivalent avant très longtemps.

Aspire Academy : le Qatar prépare son équipe pour le Mondial 2022Le football n'y est pas le seul sport pratiqué, puisque l'on y retrouve aussi de nombreux athlètes, des nageurs, des joueurs de tennis de table et de squash, etc. En bref, on retrouve la plupart des disciplines pratiquées aux Jeux Olympiques, dont le football. De nombreux sportifs de renom s'y sont déjà rendus en vue de se préparer pour des grandes compétitions ou soigner une blessure. Le barça ou le Milan AC se retrouvent souvent là-bas en période de pré-saison, et à la trêve, c'est l'équipe du PSG qui est venu se préparer au sein des installations du Complexe ASPIRE. Le football est, au sein de l'ASPIRE Academy, le sport qui obtient la plus grande attention de la part des dirigeants qataris, d'autant plus qu'avec le Mondial 2022 en ligne de mire, il y a l'ambition de faire du Qatar une nation qui fera bonne figure à la maison dans 9 ans. L'ASPIRE Academy est donc mise à contribution pour former les meilleurs jeunes du pays, en accueillant au sein du centre pas moins de 220 jeunes répartis en 9 catégories d'âge différentes (des U9 aux U17). En plus d'accueillir les meilleurs qataris, le football est aussi fortement développé à travers un vaste programme de détection de jeunes talents lancé en 2007 : l'ASPIRE Football Dreams.

ASPIRE Football Dreams : le projet phare

Autant être clair dès le départ : Football Dreams est un programme à vocation humanitaire géré par l'ASPIRE Académy (et c'est le cas), mais c'est aussi et surtout le plus grand programme de détection et de sélection de l'histoire du football. Son véritable homme fort, un certain Josep Colomer, est l'ancien Directeur du centre de formation du FC Barcelone, connu pour avoir entre autres, lancé la génération dorée du Barça et découvert un certain . Sous sa direction, le programme ASPIRE Football Dreams, qui en est à sa sixième édition, couvre 15 pays à travers trois continents : l'Afrique, son terrain préféré, l'Amérique du Sud, et l'Asie. De nombreux techniciens et recruteurs, pour la plupart issus de grands clubs en Europe et dans le Monde, évaluent ces jeunes talents, pour la plupart âgés d'à peine 14 ans. Avec l'aide des entraîneurs et acteurs locaux, ce sont à peu près 750 000 jeunes qui auront été supervisés au cours de l'édition 2012. Le processus de sélection est extrêmement bien huilé et se découpe selon 4 phases :

Phase 1 : Les joueurs inscrits se rencontrent dans des matchs à 11 contre 11 sur une période de 25 minutes. A l'issue de cette phase, le coordinateur et son équipe sélectionne les joueurs qui passent à l'étape suivante.

Phase 2 : Les scouts du programme évaluent les joueurs retenus en phase 2. Ils doivent au final retenir les 50 meilleurs joueurs de chaque région pour passer en phase 3.

Phase 3 : De nouveaux tests sont réalisés dans la capitale du Pays concerné. Sous l'œil de Josep Colomer et de l'équipe d'ASPIRE, les 3 meilleurs joueurs de chaque pays gagneront leur place en phase finale au Qatar.

Phase 4 : Les finalistes évoluent pendant un mois au sein de l'ASPIRE Academy au Qatar pour la finale, à l'issue de laquelle les 20 meilleurs d'entre eux poursuivront leur formation.

Ainsi, pendant 4 ans, la plupart des sélectionnés poursuivront leur formation non pas au Qatar (ils y sont que très peu de temps en fin de compte) mais au sein d'une antenne d'ASPIRE basée au Sénégal, entourés d'excellents techniciens, le but ultime étant de voir ces joueurs faire leurs débuts dans un club professionnel à l'issue de leur formation.

Un projet qui suscite les polémiques

Un vaste projet de naturalisation ?

Aspire Academy : le Qatar prépare son équipe pour le Mondial 2022Un projet à vocation humanitaire qui utilise le football comme vecteur afin de venir en aide à des enfants démunis qui ont un certain talent pour le football : bien entendu, sur le fond, on ne peut que saluer le fait qu'un Etat qui dispose de tant de ressources comme le Qatar décide de les mettre à disposition pour une telle action. Mais ne soyons pas dupe, lorsque l'on voit les investissements consentis, les sommes colossales dépensées, comment réellement se convaincre que cette initiative soit totalement désintéressée ? Tous les doutes sont permis, et avec l'émergence du scandale du Qatargate, les polémiques à propos de ce projet commencent à se faire entendre et risquent d'être de plus en plus pressentes. Ces derniers jours, des critiques reviennent avec insistance à propos du véritable objectif du programme, à tel point que les observateurs se demandent si le Qatar n'utiliserait pas son programme Football Dreams afin de pouvoir disposer d'une génération de footballeurs naturalisés qui viendraient composer la sélection nationale au Mondial 2022. Une ineptie qui fait bondir Ivan Bravo, le Directeur Général de l'Academy  et ancien Directeur Stratégique du Real Madrid, ainsi que tous ses collaborateurs, qui rappellent sans cesse à coup de phrases bien faites que « Football Dreams est avant tout un projet humanitaire ».

Si on veut bien le croire, comment ne pas imaginer le Qatar effectuer ce qu'il fait déjà effectué avec d'autres, puisque l'on sait très bien qu'il a par le passé déjà payé des athlètes venant d'autres disciplines. Il suffit de regarder les Jeux Olympiques des années précédentes pour apercevoir, entres autres, des coureurs d'origine kenyane ou éthiopienne, ou même un haltérophile bulgare représenter le Qatar. De plus, au niveau football, les qataris n'en sont pas à leur premier coup d'essai. Lors du dernier rassemblement de la sélection, pas moins de 14 naturalisés avaient été appelés par le sélectionneur qatari, parmi lesquels les gardiens de but sénégalais Saqr et Burhan, le brésilien Fabio Cesar ou l'uruguayen Sebastian Quintana. Ainsi, si le l'ASPIRE Academy forme les meilleurs qataris à la maison pour le Mondial 2022, son programme Football Dreams prépare les naturalisés de demain, censés apporté la plus-value manquante. Pour le moment, le Qatar s'en défend en indiquant que plus de 30 membres du programme Football Dreams ont joué pour leur sélection nationale et aucun pour le Qatar. Cependant, on parle là de jeunes qui ont entre 14 et 18 ans, qui par conséquent n'ont donc jamais été sélectionné en A. Les qataris ont encore tout le temps (et l'argent) nécessaire pour les convaincre de changer d'avis.

Un projet aux allures malsaines ?

Le 6 juin 2012, le projet de l'émirat est passé à la vitesse supérieure. En effet, le Qatar a fait l'acquisition d'un club de football en 2ème division belge, le KAS Eupen. Immédiatement, un entraîneur espagnol, , ancien de l'Academy ASPIRE a été nommé, et la première génération de joueurs formés au sein de l'Academy basée au Sénégal y a été envoyée. Cet hiver, un gardien qatari formé à Doha les a aussi rejoint. Vous l'aurez compris, le but est maintenant de faire découvrir à ces jeunes talents le monde professionnel et de leur faire engranger de l'expérience au plus haut niveau. D'autres générations devraient suivre dans les années à venir, les qataris s'étant engagés auprès du club pendant 10 ans, jusqu'en 2022 (tiens donc !). Officiellement, le but recherché n'est pas le profit, mais dès lors, comment ne pas imaginer un seul instant le Qatar ne pas obtenir un bénéfice sportif de cet investissement. D'ailleurs, la stratégie développée à travers le projet d'Eupen s'inspire très fortement du travail effectué par Jean-Marc Guillou qui, par le passé, avait collaboré avec le club de Beveren (une grande partie de la génération dorée ivoirienne est passée par la première académie JMG à Abidjan), un projet d'intégration de jeunes talents séduisant au départ, et qui s'est plutôt mal terminé, pour des raisons plutôt obscures (JMG serait encore en procès aujourd'hui avec le club belge). Le Qatar compte-t-il en faire de même avec ses jeunes pousses ?

Pour certains, Jean-Marc Guillou est un homme on ne peut plus respectable qui a créé un projet humanitaire et fait énormément de bien au football ivoirien, mais pour d'autres il est aussi considéré comme un négrier du football, qui récupère 80% lors de la vente de chaque joueur qu'il a formé. Nous ne sommes pas tout à fait dans ce schéma-là avec les qataris, car il est évident qu'ils ne font pas ça dans un but mercantile, mais on s'en rapproche. Et s'il n'est probablement pas dans l'idée du Qatar d'effectuer de quelconques bénéfices sur les transferts, il est des gens qui se frottent les mains et profitent de tout ceci sans aucun scrupule : les agents de joueurs. En mars 2012, une grosse polémique a éclaté en Belgique lorsque , ancien footballeur reconverti agent, a annoncé avoir collaboré avec l'Academy ASPIRE et avoir placé 7 joueurs de l'Academy au CSKA Sofia. Les qataris se sont empressés de démentir cette affirmation, et sont même allés plus loin en accusant les agents concernés de violer les règles de la FIFA en favorisant et finalisant des transferts de jeunes mineurs, des actes bien évidemment interdits. C'est ici que se trouve le danger : en étant affilié à aucun club (l'achat d'Eupen est venu corriger cela), les joueurs ne sont pas « protégés » et sont à la merci d'agents qui profitent de leur talent pour obtenir de belles primes. Et si ceci a (malheureusement) toujours existé, comment ne pas imaginer que ce projet à la base humanitaire ne finisse pas par devenir le théâtre malgré lui de pratiques douteuses ?

Aspire Academy : le Qatar prépare son équipe pour le Mondial 2022

“Success is no accident. It is hard work, perseverance, learning, studying, sacrifice and most of all, love of what you are doing or learning to do” –

De façon incontestable, le Qatar ne vise pas autre chose que le profit sportif en utilisant ses moyens sans limites pour construire une équipe capable de faire bonne figure dans 9 ans. La construction du centre ASPIRE, un centre ultramoderne qui bénéficie d'une technologie de pointe ainsi que des compétences des meilleurs techniciens, peut lui permettre d'amener ses footballeurs locaux au maximum de leur potentiel d'ici 2022. En revanche, à travers son programme Football Dreams, qui lui permet d'attirer dans ses filets les meilleurs talents étrangers, et le récent achat d'un club belge pour leur faire découvrir le haut niveau, comment ne pas imaginer derrière tout ça une immense campagne de recrutement de joueurs naturalisés ? Ce programme séduisant sur le papier pose non seulement un problème d'éthique sur la question de la naturalisation des joueurs, mais conduit surtout à des dérives et pratiques mercantiles avec ces jeunes mineurs, notamment de la part d'agents sans scrupules. Les instances du football feraient bien de se pencher une bonne fois pour toutes sur des pratiques de plus en plus douteuses envers des jeunes mineurs coupés de toute réalité.