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DIS Esporte, Doyen Sport, Rio Football Services, MSI, Quality Sports II Investments (la société du très influent Jorge Mendes)… ces noms ne vous disent peut-être rien, mais peut-être avez-vous déjà entendu parler de ces mystérieuses sociétés si vous suivez avec attention le marché des transferts chaque mercato. Leur activité : obtenir les droits économiques des joueurs et les revendre lorsque leur valeur est au plus haut, afin de dégager de fortes plus-values.

L’importance grandissante de ces sociétés aux activités parfois suspectes est telle qu’aujourd’hui les footballeurs n’appartiennent plus seulement à un club, mais peuvent aussi appartenir à des sociétés tierces dans le cadre de multipropriété. Des situations à la limite de la légalité selon les Pays. Comment cela est-t-il possible ? Ces pratiques respectent-t-elles au moins le règlement international ? Petite réflexion à propos des droits fédératifs, une notion importée tout droit d’Amérique du Sud qui réduit nos joueurs au rang de simples produits financiers.

Il y a bien longtemps que la législation sud-américaine, plus complexe que la législation européenne, a introduit un système de multipropriété du joueur de foot en faisant apparaître la notion de droit fédératif : en clair, le joueur peut appartenir à plusieurs intermédiaires de toutes sortes : un club, une société, voire au joueur lui-même.

Pour mieux comprendre, voici un exemple : prenons le cas du joueur le plus célèbre (et probablement le plus talentueux) évoluant en Amérique du Sud aujourd’hui, Neymar, dont beaucoup se demandent pourquoi il n’a pas encore rejoint un cador européen. Ses droits appartiennent à trois intermédiaires différents : Santos, son club formateur, qui possède 55% des parts, un fond d’investissement nommé DIS, qui possède 40%, et Teisa, autre société qui possède les 5% restants. Comme vous pouvez le constater, cela peut rapidement devenir difficile à suivre. Et on ne parle même pas de la gestion des droits d’image du joueur, qui eux aussi peuvent appartenir à des sociétés tierces.  De ce fait, pour un club européen, négocier avec des joueurs sud-américains peut très vite devenir mission impossible. Les négociations deviennent extrêmement complexes, la multiplicité des propriétaires des droits du joueur pouvant dérouter lors des négociations.

En France, le président de Bordeaux Jean-Louis Triaud, qui dans un passé plus ou moins récent a fait signer quelques joueurs brésiliens (Deivid, Miranda, Fernando, Wendel, Mariano notamment), reconnaissait d’ailleurs « Nous avons beau pratiquer ce système de multipropriété depuis un certain temps, nous avons toujours du mal à nous y retrouver ». Effectivement, les négociations avec plusieurs intermédiaires, qui n’ont pas forcément tous les mêmes intérêts à défendre (certains veulent vendre, d’autre pas), complexifient les rapports de forces entre les différents intermédiaires en plus de faire enfler les prix des transactions.

Distinction entre les « droits sportifs » et « droits économiques »

Dans le football, cette particularité sud-américaine pose problème à plusieurs titres, à une époque où les meilleurs  footballeurs sud-américains se retrouvent chaque jour sur le continent européen, où l’on a une vision de l’individu ainsi qu’une législation à l’opposée de la perception sud-américaine. En effet, là ou en Amérique du Sud on opère une distinction entre les « droits sportifs » et « droits économiques », en Europe tout ceci est inclus dans le seul et unique contrat de travail du joueur. Rien de bien choquant si l’on en croit le DG des Girondins : « C’est un système qui n’est pas choquant intellectuellement, juste compliqué », expliquait-il il y a quelques saisons.

Même si du point du droit du travail européen (en grande majorité), cela devient plus que limite, les négociations avec des intermédiaires de plus en plus nombreux deviennent monnaie courante et les joueurs de foot peuvent désormais être assimilés à des chevaux de courses. Ce responsable du club bordelais n’y trouvait rien à redire, mais au contraire, tout se complique lorsque l’on se penche de plus près sur le règlement du Statut et du Transfert des Joueurs de la FIFA, et notamment son article 18bis intitulé « Influence d’une tierce partie sur des clubs ». Pour résumer, cet article interdit aux clubs « de signer un contrat permettant à un tiers d’acquérir la capacité d’influer sur l’indépendance ou la politique d’un club », et réserve à la FIFA le droit de sanctionner de telles pratiques. Autrement dit, un joueur doit appartenir à un club et ne peut voir ses droits répartis entre plusieurs intermédiaires.

L’article 18bis laisse peu de place à l’interprétation. Si un joueur appartient à plusieurs intermédiaires autres qu’un club et si ceux-ci peuvent s’installer à la table des négociations au même titre que le club « propriétaire » du joueur, on peut légitimement conclure que ces intermédiaires peuvent influer sur la politique d’un club et par conséquent, ne pas respecter le règlement de la FIFA. Puisqu’il s’agit d’une pratique qui se répand à mesure que les meilleurs joueurs du continent sud-américain signent en Europe, il y a un risque réel que la situation finisse par devenir difficile à gérer pour une FIFA en porte-à-faux, qui ne semble pas prête ni assez forte pour faire appliquer des sanctions. Sur ces dernières années, en combien d’occasion l’instance-phare du football a sanctionné de telles pratiques ? A priori pas une fois.

Un exemple de club puni est à retenir cependant, du côté de l’Angleterre, West Ham, sanctionné par la FA. C’était en 2006, le club anglais, par l’intermédiaire d’un certain Kia Joorabchian et sa société MSI, obtenait la signature des stars argentines Javier Mascherano et Carlos Tevez, deux joueurs évoluant avec le club brésilien des Corinthians, club avec lequel la société de l’Irano-Britannique avait un partenariat. A l’arrivée, le transfert de Carlos Tevez avait été déclaré illégal suite à une plainte du club anglais de Sheffield United, « victime » reléguée suite à un but de l’Apache, et West Ham a écopé d’une lourde amende. Pour la petite histoire, Tevez a retrouvé « sa liberté » lors de son transfert vers Manchester City, qui a racheté la totalité des droits en 2009. Mais tout le monde n’a pas sa chance, à commencer par le club de West Ham, qui en plus de ne rien récupérer de la vente de Tevez, a écopé d’une très lourde amende.

Tevez et Mascherano à West Ham

Depuis cette lourde sanction qui aurait pu calmer plus d’un club, on ne recense plus rien. L’inactivité de la FIFA ou des grandes instances peut intriguer, même si on peut aisément comprendre son immobilisme. En effet, d’une part, il est très difficile de prouver l’influence d’une tierce-personne (même si elle paraît évidente) lors de négociations. D’autre part, il serait difficile de s’assurer que chaque transfert se déroule dans les règles vu le nombre de joueurs sud-américains transférés chaque saison en Europe. Enfin, à l’image de la fédération anglaise, c’est aux différentes instances nationales de prendre le relais et de s’assurer du respect du règlement en fonction de leur propre législation. Seul problème, et de taille, comment une Association telle que la FIFA pourrait imposer son propre règlement à un Etat ? De même, comment un Etat lui-même pourrait interdire un autre Etat de réviser ses propres lois ? On touche là au cœur du problème.

En 2007 déjà, la question avait été posée en France au cours d’une table ronde de l’Assemblée Nationale à laquelle ont participé de nombreux acteurs du football en France et en Europe au sujet des transferts des joueurs professionnels, avec comme idée de les « moraliser ». A l’arrivée, un débat stérile et sans issue, comme en témoigne cette remarque de Jean-Michel Marmayou, à l’époque Directeur du centre de droit du sport à la Falcuté d’Aix-Marseille et auditionné par l’Assemblée Nationale sur des questions juridiques, qui résume à elle-seule la complexité de la situation : « La question est de savoir comment une instance française, fédération ou ligue, pourrait interdire le paiement de droits fédératifs à ce type de société, sachant que la pratique est légale en Amérique du Sud, mais également en Europe, au Portugal notamment, et qu’ils peuvent quelquefois être vendus aux enchères… mais l’État français ne saurait balayer d’un revers de main un mécanisme juridique en vigueur dans un autre pays, et la FIFA encore moins. »

Comme le fait remarquer M. Marmayou, certains pays européens, comme le Portugal, possèdent une législation autorisant la multipropriété, et d’autres tolèrent sa pratique. Ce mouvement s’est aujourd’hui étendu, si bien que ces sociétés détentrices de droits fédératifs sont de plus en plus nombreuses et présentes en Europe, en Espagne ou en Suisse notamment, à tel point qu’elles risquent de venir perturber un marché déjà très compliqué à appréhender. Bien souvent représentées par des agents qui connaissent bien le milieu et ses différents rouages, il n’est pas toujours simple de mettre un nom ou un visage sur les personnes à qui appartiennent ces sociétés à la présence discrète et l’implantation dans des pays à moindre pression fiscale. Bref, pour ces sociétés, on rentre purement et simplement dans de la spéculation, ni plus, ni moins. L’intérêt du joueur n’est plus du tout mis en avant et seul le profit importe.

Le cas de la société Doyen Sports, une société implantée en Espagne et au Portugal qui détient notamment les droits de Falcao, est assez révélateur de ce fonctionnement. Cette société possède dans ses actifs les droits économiques partiels de 22 joueurs professionnels et non des moindres, parmi lesquels Falcao donc, mais aussi Pedro Leon, Steven Defour, Alvaro Negredo, José Antonio Reyes, ou encore les français Geoffrey Kondogbia et Eliaquim Mangala. La cible de cette société est assez visible lorsque l’on voit les joueurs sous leur coupe : outre Falcao, Leon, Reyes et Negredo, tous sont de jeunes joueurs extrêmement prometteurs âgés de moins de 25 ans. Certains ont tout juste 17 ans et ne sont même pas encore apparu en équipe première. Ce sont de vrais paris sur l’avenir ! Pour justifier son action, le groupe met en avant la philosophie suivante : « permettre aux petits clubs de conserver ses éléments prometteurs plus longtemps avec la possibilité de plus-value à la revente plus importante ».

Vous l’aurez compris, derrière le prétexte de vouloir « aider » les petits clubs à conserver leurs pépites, ces sociétés profitent de leur état de faiblesse afin d’acquérir à moindre frais les futures promesses du football, avec l’idée de les revendre lorsque leur côte sera au plus haut. Telle est la réalité du football aujourd’hui et elle est triste: les footballeurs sont aujourd’hui devenus de simples produits financiers recrutés dès leur plus jeune âge. Des sociétés privées les exploitent, profitant des difficultés et de la crise actuelle pour attirer dans leurs filets un diamant brut, diamant qui s’il est bien taillé, peut rapporter gros. En réalité, le groupe Doyen Sport comme tant d’autres profite aujourd’hui de la crise pour intégrer le marché européen, comme des sociétés avaient auparavant profité de la législation et de la situation économique du continent pour s’attaquer à l’Amérique du Sud.

On fustige souvent le footballeur pour son envie de gagner encore et toujours plus d’argent, mais que penser de la présence de ces nouvelles sociétés qui en gagnent encore davantage sur leur dos ? De nombreux problèmes éthiques se posent : par exemple, est-ce que le joueur a son mot à dire lors de son transfert ? Comment être sûr qu’il est vraiment libre du choix de sa destination ? Les joueurs talentueux comme Falcao, Hulk, Neymar ou Ramires attireront toujours les plus grands clubs, mais qu’advient-il des joueurs moyens, ou même des mineurs, des joueurs pour qui le talent n’est encore qu’une promesse ? Le danger de la multipropriété se trouve aussi là et sa présence dans le marché actuel pose de vraies questions à propos des droits du joueur, en tant que sportif certes,  mais surtout en tant qu’individu. Bien que les anglais (et dans une moindre mesure les français) tentent d’empêcher sa pratique en faisant respecter leur législation et le règlement FIFA, ils demeurent bien trop faibles pour endiguer ce genre de pratiques autorisées ailleurs.

Alors que doit faire la FIFA ? Quel peut-être son rôle dans une bataille perdue d’avance, dans un conflit qui va bien au-delà du domaine sportif ? Doit-elle être inflexible et sanctionner les clubs qui ne respectent pas son règlement, en invalidant les transferts qui ne respecteraient pas son règlement ? Doit-elle au contraire faire preuve de davantage de souplesse en modifiant ses règles, quitte à aller à l’encontre du droit du travail et de la législation de nombreux pays européens, donc à attiser les remarques de l’Union Européenne. Pour le moment, la FIFA ne fait ni l’un, ni l’autre. En tout cas, il est certain que les différentes instances du football doivent se rencontrer et prendre position sur le sujet. Si le football est depuis bien longtemps globalisé, ses règles ne le sont pas, et ne semblent pas prêtes de l’être.