AvideceWopyBalab

Nous sommes le 24 juin 2013. Alors que l’été a commencé depuis à peine 3 jours, les dirigeants cannois ainsi que leurs supporters ont déjà très chaud. Très très chaud. Ce jour-là avait lieu une réunion à la DNCG, le gendarme financier du football français. Tout l’AS Cannes restait suspendu à leur délibération et attendait le verdict.

Le club, qui vient de terminer à la 2nde place de son groupe de CFA, a manqué la montée de peu. Pour ce club, ancien pensionnaire de l’élite et en proie à des difficultés financières, le risque de disparaître est bien réel. Pour ne rien arranger, le propriétaire du club, Saïd Fakhri, avait annoncé son retrait du club en cas de non montée, alors forcément tout le monde retient son souffle. Finalement, ce dernier renoncera à quitter le club quelque jour avant l’entretien et Cannes sera finalement maintenu en CFA avec un encadrement de la masse salariale. Pour la génération actuelle, Cannes n’évoque pas le football mais plutôt le strass et les paillettes de son festival. Pourtant, il y a près de 25 ans, l’AS Cannes était un club qui comptait, un club proche de l’élite reconnu pour la qualité de son centre de formation. Et nous avons bien failli assister à la disparition d’un club qui a beaucoup compté dans l’histoire du football français. Retour sur la lente descente aux enfers du club sudiste.

De la 2ème division à la coupe d’Europe : la montée en puissance du club

La plus belle période de l’histoire du club cannois débute à la fin des années 80. Le club, alors pensionnaire régulier de 2ème division depuis 1949 (hormis un intermède en 1ère Division lors de la saison 1965-1966), parvient à accrocher la montée grâce à un jeune entraîneur qui débute après avoir terminé sa carrière de joueur au club : Jean Fernandez. Sous sa coupe, le club parvient à monter à l’issue de la saison 1986-1987 alors qu’il avait terminé 3ème de la saison régulière. Le club se maintiendra ainsi durant 4 saisons (87-91) en 1ère Division. Dans l’équipe cannoise à cette époque, des joueurs d’expérience comme Luis Fernandez, Bruno Bellone, Amara Simba (prêté par le PSG lors de la saison 90-91), Pierre Dréossi ou encore Michel Dussuyer, mais aussi un jeune joueur formé au club au talent incontestable : un certain Zinédine Zidane, lancé dans le grand bain un soir de mai 89.

L’AS Cannes, ne disposant pas des mêmes moyens que ses concurrents, se doit ainsi d’être plus malin, que ce soit dans la stratégie de recrutement ou dans la détection et la formation des jeunes. Cette stratégie entre expérience et jeunesse fonctionne et le club reste dans le ventre mou les 3 premières saisons. Le meilleur est à venir lors de la saison 1990-1991. Le club arrive à son apogée et parvient pour la première fois de son histoire à se qualifier pour une coupe d’Europe en terminant 4ème du championnat. Une véritable sensation pour le club entraîné par Boro Primorac. Luis Fernandez, Amara Simba et Zinédine Zidane sont notamment les fers de lance de cette équipe.

La saison suivante sera, malgré la participation en Coupe de l’UEFA (éliminé en 16ème de finale), un véritable calvaire pour le club sudiste, qui terminera à une piteuse 19ème place en championnat. Le club descend et voit ses meilleurs joueurs partir un à un, mais réagit plutôt bien après une entame compliquée. Le club, désormais entraîné par Luis Fernandez remonte immédiatement à l’issue de la saison 1992-1993. Le centre de formation cannois, sur le point de devenir la marque de fabrique du club, est mis à contribution et produit à nouveau deux joueurs de talent : Johan Micoud et Patrick Vieira.

Coucher de soleil sur l'AS Cannes

Patrick Vieira, capitaine courage à 19 ans

Pour leur retour en 1ère division, les cannois surfent sur la dynamique de la montée et obtiennent une 6ème place en championnat ainsi qu’une nouvelle qualification pour la Coupe de l’UEFA. Luis Fernandez, qui fait pratiquer à ses joueurs un jeu agréable et offensif (notamment le duo Priou-Madar, 28 buts à eux deux, bien alimenté par Johan Micoud), réussit des prouesses qui lui valent d’être élu meilleur entraîneur de 1ère division. Il quittera malheureusement le club pour rejoindre le PSG, remplacé par Safet Susic. Cette saison exceptionnelle correspond à la dernière réelle bonne saison au plus haut niveau des cannois, et le départ de Luis Fernandez au début de la fin de l’aventure pour les dragons. A nouveau éliminés en 16ème de finale de la Coupe de l’UEFA la saison d’après, les cannois termineront 9ème du championnat. La dégringolade se poursuivra malheureusement lors des saisons suivantes et se conclura par une 18ème place lors de la saison 97-98, synonyme de descente.

De la 1ère division au CFA : la longue descente aux enfers du club

Paradoxalement, c’est alors que le club commence à décliner que son centre de formation, vainqueur de la Gambardella lors de la saison 95-96, produit ses meilleurs joyaux. En effet, entre 1993 et 1998, de nombreux joueurs vont sortir du centre de formation et faire leurs débuts au plus haut niveau. Après les pionniers Micoud et Vieira, sortiront notamment Peter Luccin, Jonathan Zébina, Sébastien Frey, David Jemmali ou encore Brahim Hemdani. Des jeunes joueurs à l’époque, mais pleins d’avenir et déjà convoités par les plus grands clubs français et même italiens. Dans n’importe quel club, posséder un tel vivier de jeune aurait été une véritable bénédiction. Le football français commençait à devenir reconnu pour la qualité de sa formation et Cannes en était l’un de ses meilleurs ambassadeurs.

Pourtant, ce qui aurait pu permettre au club de passer un cap dans la hiérarchie des clubs français est en fait devenu une catastrophe. La cause ? Les joueurs ne restent jamais suffisamment longtemps au club pour lui permettre de progresser. Ils sont vendus au profit de joueurs plus expérimentés mais ces derniers n’ont pas le rendement escompté. Cela a commencé par le départ de Patrick Vieira au Milan AC en 1995. Les Zébina, Frey ou encore Luccin, quant à eux, ne feront pas plus d’une saison au club. A l’arrivée, seul Johan Micoud, avec 4 saisons au club, aura eu un apport durable à l’équipe. Certains pourront reprocher à ces joueurs d’avoir succombé trop tôt aux sirènes de l’étranger, tandis que d’autres préfèrent faire porter l’entière responsabilité de ce fiasco aux dirigeants du club, davantage intéressés par l’argent des transferts que par la compétitivité de leur équipe. Nasser Larguet, responsable du centre de formation du club dans les années 90, illustre bien ce sentiment :

On les brade, vu leur potentiel et leur marge de progression. Mais mon avis n’a que peu de valeur pour les dirigeants.

En enchaînant les échecs sur le marché des transferts et en se séparant de ses meilleurs jeunes, l’équipe est de plus en plus affaiblie et dégringole au classement. L’inévitable se produit alors et le club termine bon dernier de 1ère Division en 1998. La descente conduit les dirigeants à se séparer des derniers talents qui leur restent. Pour l’AS Cannes, la remontée devient dès lors vitale pour la bonne suite du projet du club. Malgré de nouveaux joueurs de talent, comme Julien Escudé, le club continue de vendre ses meilleurs joyaux, qui bien souvent n’ont même pas le temps de porter le maillot de l’équipe fanion (Landry Bonnefoi, David Bellion, Mourad Meghni). A l’arrivée, le club ne se remettra jamais de cette descente et, à l’issue de la saison 2000-2001, finit par être relégué en National. Le club est alors traumatisé et ses finances sont au plus bas. Dès lors, la conservation du centre de formation, plus grande réussite du club, devient une nécessité, qui passe obligatoirement par la conservation du statut professionnel et donc, par une remontée immédiate.

La suite est connue, il n’en sera rien de tout ça, et malgré l’émergence à nouveau d’un Gaël Clichy, de Julien Faubert ou de Romain Rocchi, le club perdra son statut pro et par la même occasion son centre de formation en 2004. C’en est alors terminé pour l’AS Cannes, qui finira par être relégué administrativement en CFA par la DNCG en 2011, puis être à nouveau menacé de disparaître cet été. Le club n’a dû son salut qu’à la décision de Saïd Fakhri, propriétaire du club depuis 2009, de rester alors qu’il avait annoncé son possible retrait si le club ne montait pas.

L’impossibilité de sortir la tête de l’eau aujourd’hui

Aujourd’hui malheureusement, l’AS Cannes, à l’image de beaucoup de clubs français tombés bien trop bas, doit vivre avec un passé difficile à oublier. Pour encore beaucoup de supporters, il est inconcevable qu’un club ayant connu tant de succès et ayant formé tant de joueurs talentueux se retrouve aussi bas. Le problème est que le club aujourd’hui n’est que l’ombre de ce qu’il a été et que le fait de vivre avec nostalgie instaure une pression néfaste auprès de l’équipe. L’entraîneur des rouges et blancs, Jean-Marc Pilorget, ancien joueur du club, est d’ailleurs bien conscient de cela et ne s’est pas privé de le dire à l’orée de cette saison :

Je sais ce qu’a pu représenter l’AS Cannes pour y avoir même joué durant une saison en première division, mais aujourd’hui c’est un club de CFA, même s’il dispose de structures qui n’ont rien à voir avec le niveau. Il ne faut pas se prendre pour ce que l’on n’est pas et se dire qu’il va falloir batailler tous ensemble.

Aux yeux des adversaires, c’est la même chose. Le club est attendu au tournant chaque week-end et doit batailler ferme face à des équipes qui ont envie de se payer l’ex grand club azuréen. Pour les cannois, la montée est d’autant plus difficile à atteindre que la poule du CFA dans lequel ils évoluent est très relevée, avec notamment des clubs comme Hyères, Martigues, Marseille Consolat, Rodez, Grenoble ou encore les réserves pro de Monaco ou Nice.

Niveau financier, la rumeur Zinédine Zidane enflait du côté de La Bocca. Soi-disant intéressé pour aider le club, le héros a coupé court à toutes les rumeurs en affirmant ne pas vouloir agir compte-tenu du « flou financier ambiant ».

Coucher de soleil sur l'AS Cannes

Zidane, ici lors de ses 40 ans en 2012, a été lié à l’AS Cannes récemment

Le cas de l’AS Cannes montre à quel point il peut-être difficile pour les clubs relégués de survivre à une descente. A quoi peut-on imputer cela ? Au train de vie parfois trop élevé de ces clubs et aux erreurs de gestion manifestes ? Probablement. À la faiblesse de leurs revenus ? Certainement. Effectivement, aujourd’hui pour un club français, une descente entraîne automatiquement une chute vertigineuse des revenus de ces clubs, à commencer par l’argent des Droits TV (qui comble en majeure partie la masse salariale des clubs de L2 aujourd’hui) ainsi que les recettes de billetterie. Et si une descente de 1ère au 2ème échelon peut-être difficile à digérer, elle l’est encore davantage lorsque l’on descend en National. Les clubs relégués maintiennent leur statut professionnel pendant encore deux saisons, afin notamment de pouvoir conserver l’agrément de leur centre de formation, mais ils conservent surtout un train de vie qu’ils ne peuvent plus assumer. Il devient dès lors quasi-impossible de survivre si le club n’accroche pas la montée immédiate. Les descentes de l’AS Cannes en 2ème division puis en National lui auront donc été fatales au point de végéter en CFA aujourd’hui. Le coût des infrastructures, du centre de formation ainsi que celui de la masse salariale étant bien trop élevé en comparaison des revenus apportés, le club se retrouve vite pris à la gorge financièrement et doit se contenter de subir les évènements. Le maintien du club parmi le CFA n’est dû qu’au fait que le propriétaire du club, Monsieur Saïd Fakhri, ait décidé de rester alors qu’il avait pourtant annoncé son départ en cas de non montée en National.

Après avoir terminé 4ème puis 2nd de son groupe de CFA ces deux dernières saisons, l’AS Cannes devra obligatoirement terminer 1er s’il veut retrouver le National et obtenir un sursis. Concrètement, l’effectif cette saison est loin d’être ridicule et l’équipe fait partie des favoris pour la montée. Un bon recrutement a été effectué, avec notamment le retour au club de Michael Cériélo, défenseur formé au club et ancien chouchou du public. Jean-Marc Pilorget, dont le travail est reconnu de tous, a décidé de rester, de même que le propriétaire du club Saïd Fakhri. Personne n’a abandonné le navire et les dragons ont alors droit à une seconde chance. Ils ne devront cette fois pas la laisser passer, sous peine de disparaître complètement et d’appartenir définitivement au passé. Il semblerait malheureusement que l’AS Cannes ait visiblement loupé le bon wagon et on a du mal à les imaginer retrouver un jour les sommets. Sans centre de formation, le club ne peut pas profiter de l’excellent vivier que représente le sud de la France et la Côte d’Azur, d’autant plus que la concurrence est de plus en plus rude. Avec un AS Monaco qui vit sur une autre planète depuis son rachat, un OGC Nice proche des sommets, voire un Fréjus-Saint-Raphaël pas si loin que ça de la Ligue 2, l’AS Cannes a pris beaucoup de retard et n’exerce plus le même pouvoir de séduction auprès des jeunes. Et l’AS Cannes ne sait que trop bien ce qu’ils représentent.