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Le 22 septembre dernier, le PSG et Monaco s’affrontaient au Parc, dans un duel des gros budgets pour la suprématie en Ligue 1. Si le match a accouché d’un nul sur le plan sportif, sur le plan financier, par contre, les gagnants étaient à chercher dans les tribunes VIP du Parc des Princes, parmi les riches propriétaires des deux clubs qui affolent les médias depuis plusieurs mois. D’un côté, Paris et ses pétrodollars, avec à sa tête la famille régnante du Qatar, les Al-Thani. De l’autre, Monaco, ses avantages fiscaux et son président russe, Dmitri Rybolovlev, 100ème fortune mondiale selon Forbes en 2012.

Sur le terrain, chaque club alignait une équipe payée à coups de millions (350 pour les Parisiens, 200 pour les Monégasques), dont les deux joueurs les plus chers de l’histoire du championnat de France : Edinson Cavani (64 millions) et Radamel Falcao (60 millions).  Un match dans le match qui se superpose à celui entre deux puissances économiques en pleine expansion, la Russie et le Qatar, qui sont parmi les pays aux croissances économiques les plus importantes au monde, et qui, accessoirement, sont aussi les deux prochains pays, après le Brésil en 2014, à accueillir la Coupe du Monde de la FIFA (en 2018 en Russie et en 2022 au Qatar). Ces deux évènements, aujourd’hui sujets à une énorme polémique à propos des forts soupçons de corruption lors de leur attribution, symbolisent à merveille l’aboutissement d’une politique économique et sportive qui a vu les deux pays étendre considérablement leur influence sur la planète football depuis une dizaine d’années.

Ils ne sont pourtant pas les seuls à s’être penchés sur ce marché lucratif, qui draine des sommes d’argent de plus en plus folles. Pour la majorité d’entre eux, il s’agit avant tout de la partie émergée d’une politique d’investissements à grande échelle dans tous les secteurs de l’économie mondiale, d’un moyen d’augmenter leur visibilité et leur crédibilité à l’étranger, de s’acheter une légitimité à travers le sport le plus populaire au monde. Pour d’autres, on a envie de croire que ce n’est que par amour du football… C’est le cas pour les magnats russes que sont Rybolovlev, qui a racheté Monaco fin 2011, ou Roman Abramovitch, propriétaire de Chelsea depuis 2003.

Cependant, si on ne doute pas de leur intérêt pour le football et de leur soif de titres, on ne peut pas nier leurs relations étroites avec le gouvernement russe (Abramovitch a été gouverneur de Tchoukotka, district sibérien qui regorge de gaz et de pétrole, de 2000 à 2008) et les grandes entreprises de leur pays, notamment Gazprom, dont Abramovitch a été actionnaire majoritaire jusqu’en 2005, et qui a passé à l’été 2012 un accord de partenariat avec… Chelsea.

Gazprom, compagnie de gaz et de pétrole créée en 1989, qui représente aujourd’hui 8% du PIB du pays et appartient au gouvernement russe à hauteur de 51% (Vladimir Poutine a d’ailleurs placé son Premier Ministre Dmitri Medvedev au comité de direction de l’entreprise), est l’un des leaders mondiaux du gaz : la société fournit un quart du gaz consommé dans l’Union européenne. Depuis quelques années, elle est devenue le fer de lance des investissements russes dans le football. Elle est notamment propriétaire du club du Zénit Saint-Pétersbourg, connu pour ses dernières petites folies sur le marché des tranferts (en 2012, le Brésilien Hulk et le Belge Axel Witsel sont achetés pour un montant total de 100 millions d’euros). Gazprom n’a d’ailleurs pas fini d’investir dans le club, puisqu’un nouveau stade devrait sortir de terre à l’horizon 2015 sous le nom de Gazprom Arena.

L'origine de la richesse des clubs de football

À l’extérieur de ses frontières, la compagnie de gaz a posé ses valises en Allemagne, où elle est le sponsor officiel du FC Schalke 04 depuis 2006, et un contrat de partenariat de 5 ans évalué à 125 millions d’euros, qui a été renouvelé depuis. Au-delà de l’investissement sportif, ce contrat est aussi un moyen de nouer des liens en Allemagne, où Gazprom envisage la construction d’un nouveau gazoduc, le Nord Stream.  Outre quelques autres équipes d’Europe, comme l’Étoile Rouge de Belgrade, Gazprom est depuis 2012 un partenaire officiel de l’UEFA Champions League, via un contrat de plus de 40 millions d’euros. Cette politique d’image est complétée par un partenariat tout récent avec la FIFA, en septembre 2013, qui vise à préparer la Coupe du Monde 2018 en Russie. Le contrat a été signé par Sepp Blatter sous le regard bienveillant de Vladimir Poutine, à Sochi, la ville-hôte des prochains Jeux Olympiques d’hiver, dont Gazprom se trouve être également le principal sponsor…

Beaucoup plus au Sud, dans des contrées connues pour leur chaleur étouffante (au point d’y jouer une Coupe du Monde en hiver…), d’autres investisseurs pleins aux as regardent de près les succès de leurs écuries européennes. Au Moyen-Orient, ils sont deux pays à inonder l’Europe de leurs pétrodollars : le Qatar et les Émirats Arabes Unis. Les premiers ont commencé un peu plus tard que les deuxièmes à investir dans le football, mais ont su rapidement combler leur retard : à l’actif de la famille régnante qatarie, les émirs Al-Thani (qui ont sérieusement songé à s’offrir Manchester United, il y a deux ans, contre un chèque de deux milliards d’euros !), on peut compter plusieurs belles réussites : Málaga, d’abord, devenu propriété de la famille en juin 2010, qu’ils ont emmené en quarts de finale de Ligue des Champions la saison dernière; mais également le Paris Saint-Germain, bien sûr, racheté à Colony Capital à l’été 2011, qu’ils ont conduit à son troisième titre de champion et à un beau parcours en Ligue des Champions, terminé en quart de finale face au FC Barcelone, une autre enseigne qatarie…

En effet, le Qatar, via sa société d’investissements (Qatar Sports Investments), a signé en décembre 2010 avec les Blaugrana un accord de partenariat de 165 millions d’euros sur 5 ans. Il s’agissait là du premier contrat de sponsoring à caractère lucratif du Barça, qui jusque là n’avait affiché sur son maillot que le nom de l’Unicef, un organisme à vocation caritative. Mais les Catalans, croulant sous les dettes (on parlait d’un déficit de plus de 400 millions d’euros en 2010), se sont vus obligés d’accepter le deuxième sponsoring le plus cher de l’histoire (il a été dépassé depuis par le contrat passé entre Manchester United et General Motors, d’une valeur de 450 millions d’euros sur 7 ans). Ils portent donc depuis cette saison sur leur maillot le logo de Qatar Airways, la compagnie aérienne de l’émirat, après avoir affiché pendant deux saisons celui de Qatar Foundation.

Les Qataris ayant pris pied à Barcelone, les Émiratis se devaient de contrer leurs voisins et concurrents, et se sont donc rapprochés de l’éternel rival du Barça, le Real Madrid, l’autre géant espagnol. Fly Emirates, la compagnie aérienne qui pèse aujourd’hui 30 millions de voyageurs par an, connue pour ses nombreux sponsorings dans le football, a ajouté le club de la capitale espagnole à son tableau de chasse par un contrat signé en 2013, qui devrait rapporter 30 millions d’euros par an au Real. Les Merengue affichent donc depuis cette saison le logo de la société de Dubai sur leur maillot, à l’instar d’Arsenal (depuis 2004, en plus du naming de l’Emirates Stadium, inauguré en 2006), du PSG (depuis 2005, mais qui doit prochainement changer de sponsor au profit de ses nouveaux propriétaires qataris…), du Milan AC, ou d’évènements sportifs comme la Coupe d’Asie des Nations.

L'origine de la richesse des clubs de football

Mais la concurrence entre Qataris et Émiratis s’ajoute à celle entre les émirats de Dubai et d’Abu-Dhabi. Ces derniers ont investi un peu plus tard que leurs voisins dans le football : ils sont propriétaires de Manchester City, racheté 170 milions d’euros en 2008, sponsorisé par Etihad Airways (la deuxième compagnie du pays qui cherche à exister face à sa voisine de Dubai), et qu’ils ont emmené au titre en Premier League lors de la saison 2011-2012, à coups de gros chèques et de recrutements prestigieux. Le stade a été renommé Etihad Stadium en 2011, et une franchise américaine associée est sur le point de voir le jour en Major League Soccer, le New York City FC.

Aux investissements à l’étranger s’ajoutent ceux effectués dans les championnats locaux : nouveaux stades (bien souvent peu remplis), recrutement de «grands» joueurs et entraîneurs (dernièrement Nenê, Jirès Kembo ou Asamoah Gyan, à l’image des recrutements russes du Terek Grozny ou de l’Anzhi Makhatchkala, avec Samuel Eto’o, Ruud Gullitt ou Roberto Carlos…), préparation des sélections en vue du Mondial qatari en 2022, avec notamment la création de l’Aspire Academy, centre de formation qatari à l’échelle mondiale, visant à intégrer de jeunes espoirs étrangers dans l’équipe nationale locale…

Russes, Qataris et Émiratis ne sont pas les seuls à investir en masse dans le football : le marché asiatique est en plein boum de ce point de vue, et les sponsorings venus d’Orient se multiplient en Europe, tout comme les tournées de plus en plus nombreuses des clubs européens en Asie. On parle en ce moment d’un possible rachat de l’Inter Milan par un Indonésien, Erick Thahir, un magnat des médias, qui aurait proposé 300 millions à Massimo Moratti pour un club qui compterait plus de 11 millions de fans dans son pays… Au pays de Galles, c’est un Malaysien, Vincent Tan, qui a racheté le club de Cardiff City en 2010, et l’a emmené en Premier League après plus de 50 ans d’absence. L’Azéri Hafiz Mammadov, quant à lui, s’est associé à Gervais Martel pour racheter le RC Lens l’été dernier. Les Sang-et-Or affichent depuis sur leur maillot une publicité pour l’Azerbaïdjan, tout comme l’Atlético Madrid depuis 2012. Les Chinois ne sont pas en reste, puisque non contents de faire venir de grands noms dans leur championnat (Marcello Lippi, Nicolas Anelka ou Didier Drogba, avec les résultats que l’on connaît), ils passent de nombreux contrats de sponsoring, notamment en Espagne (la société de télécommunications Huawei avec l’Atlético, l’équipementier Xtep avec Villareal…).

Tous ces investisseurs exotiques, venus de pays qui ne connaissent pas la crise et qui affichent des croissances énormes, viennent chercher en Europe ce qui leur fait encore défaut : une légitimité. C’est bien beau d’avoir de l’argent, mais encore faut-il montrer que l’on sait le dépenser ! La plupart de ces acheteurs, s’il ne font pas directement partie des gouvernements de leurs pays (comme c’est le cas pour les familles régnantes des Émirats et du Qatar), sont au moins guidés par ceux-ci, qui trouvent là un excellent moyen de booster l’image de leurs confins pas toujours très attrayants. Le football donne une visibilité mondiale à ces pays émergents, et attire les projecteurs sur leurs belles actions. Mais au-delà des belles images pour les photographes, c’est aussi un moyen de détourner l’attention de sujets autrement moins réjouissants : la condition des ouvriers immigrés sur les chantiers du Mondial 2022, la question des droits de l’homme en Russie et au Moyen-Orient, la pauvreté d’une grande part de la population derrière la richesse infinie de quelques émirs et gouverneurs…

Le 1er octobre dernier, lors d’un match opposant le FC Bâle à Schalke 04, en Ligue des Champions, Greenpeace a déployé une banderole contre Gazprom, demandant la libération de 30 de ses militants emprisonnés en Russie. En s’attaquant ainsi à un club et à une compétition que Gazprom sponsorise, c’est à la compagnie toute entière et même au gouvernement russe que Greenpeace s’en est pris, utilisant contre eux les armes dont ils usaient pour se donner une visibilité… Le football serait-il devenu politique ? Première nouvelle !