AvideceWopyBalab

Thiago Silva et Sergio Ramos sont les deux défenseurs centraux qui ont été nommés dans l’équipe-type de la FIFA en 2013 et 2014, même si l’Espagnol a été placé virtuellement sur l’aile pour faire place à David Luiz. Si la légitimité d’une telle nomination est toujours un sujet qui ne manquera pas d’être débattu, on remarque une évolution des profils par rapport à ce qu’on attendait il y a encore quelques années d’un défenseur central, quand Vidic était considéré comme le meilleur à son poste. Car le capitaine parisien et le vice-capitaine madrilène, s’ils sont évidemment d’excellents défenseurs, sont avant tout encensés pour leur apport dans le jeu.

L’absence de Godin dans ce meilleur onze de l’année renforce mon sentiment. Aujourd’hui, le défenseur central est plus jugé sur sa relance que sur ses interventions défensives. Il n’est plus le dernier destructeur du jeu adverse, mais bien l’initiateur des actions de son équipe. Chaque joueur d’une « grande » équipe (comprenez par là d’une équipe destinée à avoir la possession du ballon) doit être à l’aise techniquement pour participer à toutes les phases de jeu. Celui qui n’y parvient pas, et se « contente » de défendre, est poussé vers la sortie, à l’image de Sakho et Alex au PSG. L’association du stoppeur (Desailly, Thuram, Gallas) et du libéro (Blanc) n’a plus lieu d’être. Avec Varane et Koscielny, on associe presque deux libéros : moins de muscles, mais plus de technique, et une anticipation qui a pris le pas sur l’agressivité pure et dure.

Si l’intention de mettre 11 joueurs à l’aise avec le ballon n’est pas critiquable, puisqu’elle a pour but de mieux jouer et donc de proposer un meilleur football, elle a indirectement appauvri le jeu défensif. Le goût du combat, si cher à l’ancien stoppeur, se fait de plus en plus rare. Varane, aussi talentueux soit-il, manque parfois d’agressivité, comme le prouve le but d’Hummels en Coupe du monde face aux Bleus, ou celui de Griezmann lors du dernier derby de Madrid face au Real. On ne produit plus de bons combattants, durs sur l’homme, pour qui le match se résumait presque à un combat de boxe face à son adversaire direct. La fin du marquage individuel est d’ailleurs un autre facteur expliquant cette situation, dont souffrent toutes les meilleures équipes européennes actuelles.

Manchester City a Kompany, mais personne pour l’accompagner dans la durée pour le moment. Chelsea s’en sort mieux, mais surtout grâce à Terry, qui est justement un défenseur à l’ancienne. Tout le reste de la Premier League peine dans ce secteur, d’Arsenal à Manchester United, en passant par Liverpool, Tottenham ou Everton. En Espagne, ce n’est guère plus reluisant, avec un Real Madrid suréquipé avec Pepe, Varane et Ramos, mais un FC Barcelone où le meilleur défenseur central est un ancien 6 reconverti, Mascherano. En Italie, Bonucci ou Chiellini se démarquent, mais ils sont loin du niveau de leurs aînés Costacurta, Maldini, Cannavaro ou Nesta. Naples, comme les clubs romains et milanais, ne sont pas mieux lotis. Le Bayern Munich a un collectif tellement dominant qu’il parvient à faire passer Boateng, Dante ou Benatia pour des cadors, mais ce n’est objectivement pas le cas. Dortmund est mieux loti, mais Hummels et Subotic sont trop exposés. Et leur cas m’interpelle.

Contrairement à leurs homologues du Bayern, très peu sollicités, ils ont une quinzaine de situations chaudes à gérer par match, ce qui explique les bévues plus nombreuses, et le fait qu’on puisse les trouver surcotés. Comme au Barça, la possession munichoise a rendu les spécialistes de la défense moins importants dans le système de Guardiola. A quoi bon avoir un chien enragé quand on a toujours la balle ? N’est-ce pas plus utile d’aligner un joueur capable de participer, comme tout le monde ? Cette nouvelle donne est-elle la cause de la pénurie actuelle de défenseurs à l’ancienne, ou une conséquence trouvée par les entraineurs pour masquer les faiblesses de leur arrière-garde ? Difficile à dire.

Le « talent » d’un Varane est-il incompatible avec la hargne d’un Thuram ? Ce serait dommage. Est-ce que le fait que l’évolution du jeu ait enlevé « la défense aux défenseurs » est une bonne chose ? Je n’en suis pas si sûr.

Si j’admets volontiers que l’extinction du renard des surfaces ne rend triste que les vieux cons qui n’acceptent pas le changement, le déclin du poste de défenseur me semble plus préoccupant. Apprendre aux stoppeurs de demain à mieux jouer au ballon est une chose, oublier leur formation défensive pure en est une autre…

Pour ceux qui parlent anglais, je vous invite à lire l’excellente chronique de Gary Neville à ce sujet. L’ancien Mancunien raconte l’évolution de la défense en Premier League, et détaille les méthodes d’entrainement fascinantes qu’il a connues pour aider les défenseurs à appréhender leur rôle sur le terrain.

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