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Divers sentiments et diverses images marquent les fins de saison de football en Europe : les célébrations des champions, la joie des qualifiés pour les compétitions européennes, la détresse des relégués, le soulagement des sauvés in extremis, les larmes et la frustration des déçus… Remises de trophées, envahissements de terrains, défilés dans les rues, mais aussi déception des supporters ou banderoles amères ferment le rideau sur des saisons riches en émotion. Mais au milieu de ces émotions, de ces images qui saturent les fins de saison, on trouve également, et il serait regrettable de le négliger, le deuil et la commémoration d’évènements dramatiques qui, ancrés dans l’histoire, deviennent des enjeux mémoriels importants, rappelant ainsi que la riche histoire du football s’est entre autres construite sur des drames et des tragédies. Ainsi, le drame du Heysel, la tragédie de Hillsborough, ou encore la catastrophe de Furiani, ont été commémorés en cette fin de saison.

Les plus tristement célèbres de ces drames sont généralement vaguement connues ; en revanche, ce que l’on ne peut connaître, ce sont leurs impacts, la douleur qu’elles ont engendré, la manière dont elles ont irrémédiablement et profondément touché des joueurs, des entraîneurs, des supporters, des observateurs ; et la manière dont aujourd’hui encore, elles marquent des clubs, des villes, et des nations toutes entières. Arrêtons-nous un moment sur certains de ces drames.

Au soir du mercredi 5 février 1958, le Manchester United de Sir Matt Busby vient de se qualifier pour les demi-finales de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, après avoir obtenu le match nul 3-3 sur la pelouse de l’Etoile Rouge de Belgrade (les Mancuniens s’étaient imposé sur le score de 2-1 à au match aller à Old Trafford). Manchester United vient de se qualifier pour sa deuxième demi-finale consécutive de Coupe d’Europe des Clubs Champions en deux participations, ce qui s’inscrit dans la lignée d’autres succès importants remportés par l’équipe de Sir Matt Busby, qui réalise le doublé Championnat – Charity Shield en 1952, 1956 et 1957. Matt Busby a réussi à construire une équipe jeune, talentueuse et prometteuse, dans laquelle figuraient notamment Duncan Edwards et Bobby Charlton, qui aurait pu garantir plusieurs années de succès à Manchester United.

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Le matin du jeudi 6 février 1958, les Mancuniens décollent de Belgrade à bord du vol 609 de la British European Airways piloté par James Thain. Une escale est prévue à mi-parcours en Allemagne, à l’aéroport de Munich-Riem, pour faire le plein de fuel. L’avion de la British Airways y atterrit à 13h15. Le plein de fuel fait, les passagers réembarquent. Ils sont 38 au total, auxquels s’ajoutent 6 membres d’équipage. James Thain laisse les commandes de l’appareil à son co-pilote Kenneth Rayment. A 14h19, une première tentative de redécollage échoue, James Thain ayant noté un bruit suspect au niveau du moteur lors de l’accélération. A 14h22, une deuxième tentative échoue, en raison d’une surchauffe du moteur. Les passagers sont alors débarqués, et envisagent de passer la suite de la journée à Munich, tandis que la météo se dégrade et que la neige tombe. Pendant ce temps, les membres de l’équipage se concertent. Malgré les recommandations d’un technicien, Bill Black, l’équipage décide de réaliser une troisième tentative de décollage. Les passagers réembarquent, peu rassurés pour certains. Peu à l’aise en avion, Liam Whelan, milieu offensif, tiendra juste avant le décollage ces paroles, qui résonnent aujourd’hui tristement : « C’est peut-être la mort, mais je suis prêt. »

Le décollage est prévu à 15h03. Ce sera la dernière tentative. L’avion roule sur la longue piste de l’aéroport, et prend de la vitesse. Il lui faut atteindre au moins 220 km/h pour pouvoir décoller. Mais alors que l’appareil a atteint 217 km/h, sa vitesse se stabilise, puis redescend jusque 206 km/h, puis 194 km/h, bien trop peu pour pouvoir décoller, mais beaucoup trop pour pouvoir freiner à temps. Le capitaine Kenneth Rayment prend conscience de la gravité de la situation, déclarant : « Mon Dieu, on n’y arrivera pas ! ». L’avion s’écrase en bout de piste à plus de 190 km/h contre une maison, puis contre un entrepôt de carburant, qui explose. L’accident fait 21 morts, auxquels viennent s’ajouter Duncan Edwards le 21 février, puis Kenneth Rayment le 28 février. Ce sont donc 23 personnes qui perdent la vie dans le crash aérien de Munich, dont huit joueurs, trois membres du staff, et six journalistes, au cours de la journée la plus sombre de l’histoire de Manchester United. Il s’agit du premier accident mortel pour ce type d’avion de la British European Airways. Au départ, les causes sont floues. On accuse d’abord le capitaine James Thain de négligence, le suspectant de ne pas avoir déneigé une aile de l’avion, qui s’en serait trouvé alourdi. Il s’avérera en réalité qu’un excès de neige fondue sur la piste avait freiné la course de l’avion.

Je me suis dit « Pourquoi moi ? Pourquoi suis-je encore ici sain et sauf avec une petite éraflure à la tête ? C’est injuste ! » Il m’a fallu énormément de temps pour me remettre de tout cela.
Sir Bobby Charlton, joueur de Manchester United

https://www.youtube.com/watch?v=BdWRO7up2kw
La jeune génération dorée de Manchester United, appelée à poursuivre son règne sur le football anglais et à l’étendre à l’Europe entière, a été foudroyée ce 6 février 1958. Mais le club, à force de courage, a su se relever et renaître de ses cendres, avec en apothéose la victoire en Coupe d’Europe des Clubs Champions en 1968, dix ans après la tragédie, et toujours sous la houlette de Sir Matt Busby. Peu de clubs ont connu un drame de cette nature, et aucun n’a su s’en relever avec autant de force que Manchester United. Mais le souvenir est bien présent et ne cessera jamais de l’être. La légende de ceux que l’on a appelé les « Busty Babes » est bien vivante à Manchester, la légende d’une équipe exceptionnelle que la mort a brutalement arraché au football.

J’ai tout de suite compris comment certains ont pu s’en sortir et pas d’autres, en voyant la configuration de l’avion. Il y avait la moitié des sièges avec le dossier dans le sens du vol, et la moitié inversée. Ceux qui ont survécu ont été ces derniers.
Sir Bobby Charlton, joueur de Manchester United