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Entre le génie et le despote, c’est bien le premier qui domine dans le portrait de Johan Cruyff publié par Chérif Ghemmour aux éditions Hugo Sport.

Récit biographique classique, extrêmement bien documenté, le livre raconte chronologiquement la vie du triple Ballon d’Or (1971, 1973, 1974). Pour ceux qui ont lu et apprécié l’excellent So Foot – où Chérif Ghemmour est journaliste – de l’été 2015 consacré au génie néerlandais, le livre paru chez Hugo Sport peut être qualifié de version (très) longue. Passionnant mais réservé aux fans qui veulent en savoir toujours plus et comprendre la construction du mythe Cruyff. Tellement complet, ce pavé de 14 chapitres (380 pages) débute donc par l’enfance de « Jopie » : petit, chétif, cancre, grande gueule mais profondément amoureux de son ballon et prodigieusement doué. Celui qui a pratiquement grandi dans le stade de l’Ajax a très vite été surclassé avant de débuter avec les pros à 17 ans en 1964.

Son sens du jeu, sa mobilité, son accélération, ses dribbles ont fait des ravages. Sous les ordres de Rinus Michels, qui a professionnalisé le club, il a remporté son premier titre de champion en 1966 obtenu en partie grâce à ses 16 buts en Eredivisie.

L’ascension de Cruyff suit ensuite son cours dans le livre qui légitime son titre Génie pop par de nombreux parallèles aux Beatles, à David Bowie ou aux Rolling Stones qui symbolisent le côté rebelle du Néerlandais et de toute une génération à la fin des années 60′. La dimension despote de la biographie est tout aussi indissociable du personnage, même si elle n’écorne pas vraiment son image de pop star. Cruyff ne manquait pas de critiquer ses coéquipiers, de les replacer tactiquement, de vouloir commander… On apprend aussi que le numéro 14 a aussi beaucoup milité pour une meilleure rémunération pour les joueurs et notamment pour lui même, c’est la version business man du Néerlandais.

Côté foot, outre la domination sur le championnat national, Chérif Ghemmour raconte les épopées européennes de l’Ajax avec des succès marquants contre Liverpool ou Benfica… jusqu’à la première victoire en Coupe des Champions en 1971. La bande à Cruyff récidivera en 1972 et 1973. En parallèle, c’est aussi l’histoire et l’évolution tactique du foot néerlandais que l’auteur décrit, avec la naissance d’une philosophie appelée « Football Total » où toute l’équipe attaque et défend en meute au fil de nombreux déplacements et de permutations. Sans oublier une histoire pas toujours tranquille avec sa sélection, marquée par un niveau de jeu enthousiasmant mais une défaite en finale du Mondial 74.

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Son épopée américaine, l’élevage de porcs, sa signature pleine de rancune au Feyenoord, sa carrière de coach, le pénalty finement joué avec son coéquipier Olsen, sa fondation… toute l’histoire de Johan Cruyff est racontée de manière précise et complète dans ce livre. On apprend ainsi comment il a obtenu la mainmise sur le Barça, pourquoi il s’est appuyé sur Koeman, Laudrup, Stoichkov… et évidemment Pep Guardiola. Avec sa Dream Team, Cruyff sera quatre fois champion et remportera la Coupe des Champions et la Coupe des Coupes, marquant le Barça de son empreinte.

Rempli d’anecdotes et de témoignages des contemporains de la star, l’ouvrage regorge aussi de citations savoureuses de sa part. Beau parleur et bon client pour les médias, Johan Cruyff aimait choisir ses mots pour décrire son talent, sa vision du foot et glisser quelques tacles. Morceaux choisis :

Vitesse et vision de jeu : « On confond toujours la vitesse et la vision. J’entends souvent dire que je suis rapide. Je ne le suis pas tant que ça. Mais quand je commence à courir plus tôt que les autres, j’apparais alors comme plus rapide que je ne le suis « .

Ego : « Je ne fais presque jamais d’erreurs parce que j’ai beaucoup de mal à me tromper ».

Simplicité : « Le foot est un jeu simple, mais il est extrêmement difficile de jouer simplement ».

Son départ au Barça : « Au lieu que mes coéquipiers soient contents d’avoir avec eux un joueur de ma trempe, ils étaient jaloux. Puis arriva ce jour détestable, quand les autres joueurs votèrent ma destitution en tant que capitaine Quel moment terrible ce fut pour moi… J’ai encore du mal à croire à quel point les joueurs de l’Ajax furent stupides. Nous avions une équipe qui aurait pu gagner à nouveau d’autres Coupes des champions pendant des années ».

La défaite en finale du Mondial 74 contre la RFA : « On n’a pas remporté le titre, c’est vrai, mais dans la tête des gens, nous sommes les vainqueurs moraux. C’est le plus bel éloge qu’il puisse y avoir « .

Gérer un effectif limité : « Tu as inévitablement des moments dans la saison où tu te retrouves en sous-effectif. C’est une chance, pas un problème : tu as l’occasion de faire monter un jeune du centre de formation ! « .

Pep Guardiola, le fils spirituel : « Il pouvait voir et comprendre chaque positionnement sur le terrain. Quand j’ai remarqué son intelligence et sa bonne vision du jeu, ça a été la première indication qu’il allait devenir un bon joueur et qu’il pourrait devenir un grand entraîneur ».

Frank Rijkaard qu’il a fait signer pour entraîner le Barça : « On se connaît depuis longtemps. Il fait partie de la fondation Johan Cruyff. J’ai aussi joué avec lui, puis je l’ai entraîné, bref, je sais que c’est quelqu’un de très bien ».

La finale de la Coupe du Monde 2010 perdue 1-0 par les Pays-Bas contre l’Espagne : « J’ai pensé que mon pays n’abandonnerait jamais sa propre façon de jouer. Et je me suis trompé. Je n’ai pas envie de tous les pendre à la même corde, mais presque. Ils ne voulaient pas le ballon et malheureusement, ils ont joué moche… Ils ont proposé de l’anti-football ».

L’inimitié avec Louis Van Gaal : « Il recherche la froide victoire et a une façon de travailler militariste concernant ses options tactiques. Ce dont je ne veux pas. Je veux avant tout des individus qui pensent par eux-mêmes ».