AvideceWopyBalab

Il y a ce football, celui que nous connaissons traditionnellement, fait de stars et marketing, de scandales, de dérives et de coups d'éclat. Mais il en existe un autre, plus confidentiel, et vecteur de belles histoires.

Au Cécifoot par exemple, le football n'est qu'un prétexte. Depuis une quinzaine d'années, la pratique du football pour les personnes atteintes de déficience visuelle s'est démocratisée en France et dans le monde, au point que la finale du dernier tournoi olympique a été retransmise par une grande chaîne en clair. La France est une des nations moteur et possède un palmarès intéressant : vice-championne d'Europe 2013, double Championne d'Europe (2009 et 2011) et finaliste des Jeux Paralympiques 2012.

Regroupés en plusieurs groupes, en fonction du handicap (de B1 pour les non-voyants, à B2 et B3 pour les mal-voyants selon leur déficience visuelle), les joueurs se connaissent et se suivent depuis des années, voire depuis le début de l'existence de clubs organisés dans l'Hexagone.

Au début, nous jouions avec de simples piquets, de la ficelle et des grelotsMaintenant, nous avons de vraies structures.
Anthony Heurteau

Anthony Heurteau est entraîneur des B1 du club “Don Bosco Nantes”, seul grand club de l'ouest de la France, en 2004. Il est aussi l'entraîneur-adjoint de l'équipe de France. En 10 ans, il a pu voir l'évolution de la pratique et des moyens mis à disposition : “au début, nous jouions avec de simples piquets à l'entraînement, de la ficelle et des grelots pour délimiter le terrain. Maintenant, nous avons de vraies structures comme ce terrain indoor” mis à disposition par la structure Urbansoccer. Ce terrain en intérieur permet de “s'entraîner plus régulièrement dans de bonnes conditions malgré la météo, même si nous sommes tributaires de la disponibilité de chacun”. Le club est ainsi passé de 5/6 pratiquants malvoyants à plus de 20 actuellement, qui connaissent le club principalement grâce au bouche-à-oreille. Cela représente 1/10e de la section foot du club ! Des accords avec des organismes d'aides aux personnes en déficience visuelle sont aussi en passe d'être conclus.

Projet photographique "¡Voy!" de PKFoot sur le Cécifoot, entre humilité et abnégation
Projet photographique "¡Voy!" de PKFoot sur le Cécifoot, entre humilité et abnégation

Les entraînements dégagent un vrai sentiment d'humilité, mêlé à un engagement de fédérer des pratiquants autour de la passion du ballon rond. L'expérience est sensorielle, obligeant les joueurs à décupler les 4 sens qui compensent la vue. Tout est codifié pour sécuriser le joueur et offrir une représentation spatiale. Ainsi, les guides en section B1, répartis sur les 3 “zones” de jeu, ont des termes bien spécifiques qu'ils définissent avec leurs joueurs : distance des cages, orientation, … Il se noue ainsi une vraie relation de proximité entre eux, surtout quand on sait qu'il faut au final battre “un gardien qui est bien voyant, lui” indique Jean-Pierre Guichon, guide au club. L'entraînement indoor ajoute une difficulté supplémentaire : “ça résonne, et avec les autres terrains mitoyens où ça joue, ça a tendance à déstabiliser les joueurs, c'est pourquoi on joue les matchs en extérieur”, ajoute Anthony Heurteau, “mais leur donner la possibilité de courir librement dans un espace ouvert leur procure une sensation unique !

Si les règles sont légèrement différentes en fonction des catégories de Cécifoot, on se rapproche des règles de foot en salle à 5, avec le principe des 4 fautes entraînant un penalty à 8 mètres sans mur. Une faute commune est celle de ne pas s'annoncer auprès du porteur de la balle. Il faut en effet répéter de manière audible le mot “voy !” (“j'arrive” en espagnol) pour que le porteur puisse savoir qui est à proximité de lui. Ce mot est le seul lien entre les joueurs du monde entier, héritage des origines sud-américaines du Cécifoot.

Projet photographique "¡Voy!" de PKFoot sur le Cécifoot, entre humilité et abnégation

L'entraîneur utilise la main du joueur pour passer les consignes tactiques

Le ballon est plus petit que pour le football “valide”, comme l'appellent les pratiquants de Cécifoot. les clochettes qui le composent le localisent dans l'espace. “On sent une vraie différence entre les marques” précise Jérôme Pénisson, joueur mal-voyant mais pratiquant avec un bandeau qui lui masque entièrement la vue pour pouvoir jouer avec les aveugles. “Les italiens sont plus difficiles à gérer par exemple. Ils ont leur propre bruit. Là, nous jouons avec des danois, ça se passe mieux”. Chaque ballon coûte 80€ environ.

La légende dit que c'est qui a demandé aux autorités de faire travailler des prisonniers sur des ballons dédiés à cette pratique, leur faisant coudre les clochettes sous le cuir. Avant ça, les joueurs aveugles dans les favelas avaient pour habitude d'enfermer le ballon dans un sac plastique, pour qu'il fasse du bruit à chaque contact avec le sol ou un joueur.

Depuis quelques années, la Fédération Française de Football a signé un accord de partenariat avec la Fédération Française Handisport pour mieux encadrer les équipes, nationales notamment. Le championnat mixte (6 équipes en catégorie malvoyant et 10 équipes en non-voyant, réparties géographiquement) se tient lui sur 3 week-end, plus un week-end supplémentaire pour organiser la Coupe de France Cécifoot. La saison est courte, mais cela répond à des contraintes “de disponibilité et de coûts, soyons honnêtes. Nous partons ce week-end à Saint-Mandé, un autre club pionnier en France, pour un tournoi amical. Nous ferons l'aller-retour dans la journée. On ne peut pas se permettre de se payer de nuits d'hotel, déjà que nous avons le TGV à prendre en charge”, répond Jean-Luc Lescouezec, président et fondateur de la section Cécifoot Don Bosco Nantes, de l'arbitrage Cécifoot France et ancien arbitre international.

Projet photographique "¡Voy!" de PKFoot sur le Cécifoot, entre humilité et abnégation
Projet photographique "¡Voy!" de PKFoot sur le Cécifoot, entre humilité et abnégation

La longévité de la section passe par sa reconnaissance et l'inlassable abattage d'Anthony Heurteau pour sa communication. Ainsi, le Cécifoot Don Bosco Nantes organise régulièrement des séances de sensibilisation auprès des clubs et entreprises de la région. Il y a un an, ils sont allés à la Jonelière, le centre d'entraînement du FC Nantes, pour faire une présentation aux jeunes du club. “Ca permet de leur faire garder les pieds sur terre” ajoute Jean-Luc. Lors d'initiatives comme la “semaine pour l'emploi des personnes handicapées”, le siège régional de GRDF est venu initier ses employés. Lunettes pour réduire la vue, bandeaux, mini-terrain et film de présentation mettent les salariés dans l'ambiance : “ça joue, il y a des contacts !” constate l'un d'entre eux. “Oui, mais pas plus que dans n'importe quel match de football valide” nuance Anthony Heurteau, comme pour rappeler que la passion du football est unique.

Le Cécifoot engendre de belles anecdotes. “Les équipes étant mixtes, nous avons un couple qui s'est formé dans notre club. Ils ont même eu un bébé !” n'en revient toujours pas Jean-Luc, le président de la section Cécifoot.

Projet photographique "¡Voy!" de PKFoot sur le Cécifoot, entre humilité et abnégation