AvideceWopyBalab

Avant que la FIFA ne prenne feu, les premières étincelles ont été provoquées par des journalistes anglais qui ont focalisé leur enquête sur l'attribution du Mondial 2022 au Qatar. Ils racontent tout de ce système mafieux dans leur livre L'homme qui acheta une coupe du monde, le complot qatari.

De la corruption à la FIFA ? Tout le monde s'en doutait depuis des années et de nombreuses enquêtes journalistiques en faisaient état, mais sans apporter de preuve suffisante pour faire exploser cette puissante institution. Depuis le printemps 2015, c'est chose faite avec des arrestations en série de hauts dignitaires, l'affaire Blatter/Platini… Mais avant d'en arriver là, un événement a « officieusement officialisé » les magouilles, c'était le 2 décembre 2010, lors de l'annonce de l'attribution de l'organisation de la Coupe du Monde 2022 au Qatar.

The man who sold the word cup

« Comment ce minuscule Etat du Golfe, sans aucune tradition de football ou presque, ni aucune infrastructure appropriée, et où les chaleurs estivales pouvaient grimper à 50°C, comment cet Etat avait-il pu battre des pays à la réputation footballistique plus ancienne et dont les candidatures étaient nettement plus solides ? », se sont interrogés les journalistes du Sunday Times, Heidi Blake et Jonathan Calvert. Dans L'homme qui acheta une coupe du monde, le complot qatari (Hugo Sport), ils jettent un énorme pavé (480 pages) dans la mare crasseuse de la FIFA. Ce récit ultra documenté et détaillé dévoile les rouages du côté obscur de cette toute puissante organisation.

En fait, c'est surtout l'histoire d'un mec. Mais cette farce ne vient ni de Coluche ni de Belgique, c'est un tour de magie réalisé par le milliardaire qatari Mohamed Ben Hammam. Les journalistes décrivent la grandeur et la décadence de cet entrepreneur, mordu de football, qui s'est hissé aussi haut que possible dans le football de son pays et à l'échelle mondiale en se rapprochant du prince héritier Cheikh Hamad au Qatar, puis de celui qui allait devenir le boss de la FIFA, Joseph Blatter. Alors qu'il se voyait prendre la succession du Suisse, celui-ci a décidé de ne plus limiter sa présidence dans le temps mais en offrant un lot de consolation improbable au Qatar : l'organisation de la Coupe du monde. De quoi faire pétiller les yeux de l'émir et obliger Mohamed Ben Hammam à ravaler ses ambitions personnelles pour se mettre au service de cette cause impossible.

« Grâce à Blatter, son mentor, Ben Hammam avait une connaissance intime des rouages troubles du monde du football. Il savait ce qui poussait ses collègues à voter pour untel ou untel. Mieux : il savait comment conclure des marchés avec eux. Il n'y avait pas besoin d'être un génie pour calculer ce qu'il fallait pour l'emporter. S'il gagnait le soutien de 13 de ses 23 « frères » du comité exécutif de la FIFA, le jackpot lui reviendrait », résument les auteurs. Ce livre raconte comment le président de la confédération asiatique s'y est pris.

On apprend donc comment Ben Hammam s'est offert les bonnes grâces des membres du Comex, notamment celles des Africains : « Durant les deux années précédant le vote, il avait versé plus de 5 M$ aux dirigeants de trente fédérations de football africaines ». Le travail journalistique est aussi décrit, avec notamment l'obligation imposée par leur informateur d'éplucher des documents confidentiels pendant trois mois dans une petite pièce sécurisée à Londres, coupés du reste du monde. Le duo d'enquêteurs avait en effet un travail colossal à accomplir pour trouver les traces des différentes caisses noires et reconstituer les histoires des enveloppes de billets et autres valises de cadeaux. C'est par ce biais qu'ils ont également découvert les magouilles avec Jack Warner, un accord entre le Qatar et la Thaïlande sur la livraison de gaz, avec de belles économies à la clé en échange du soutien de la candidature qatarie… D'ailleurs, c'est aussi la ressource énergétique qui serait à l'origine des accords entre la Russie (Mondial 2018) et le Qatar (2022). Les journalistes font aussi état de vidéos en caméra cachée où des officiels et lobbyistes parlent ouvertement des différentes corruptions, etc.

La France n'est pas épargnée car les auteurs écrivent clairement que le rachat du PSG et la création de BeIN Sports ont été effectués dans le cadre d'une entente avec le président Sarkozy qui aurait lui-même obtenu le vote de en faveur du Qatar. Autre légende qui en prend pour son grade, le Kaizer Beckenbauer…

Derrière le processus de corruption, c'est aussi la personnalité de l'homme que décrivent les journalistes, visiblement fascinés par leur personnage : « Ses activités étaient incontestablement corrompues, mais il était difficile de ne pas apprécier Ben Hammam pour sa bonté, sa dignité et, ironiquement, pour sa générosité ». Les deux premiers tiers du livre racontent ce plan sans accroc ou presque, jusqu'à la consécration du choix du Qatar pour 2022. Et pourtant… Ben Hammam s'était montré trop dangereux pour en réussissant un tel tour de force. Se sentant menacé, Blatter émit publiquement des doutes sur le Qatar, ce qui poussa Ben Hammam à se présenter à la présidence de la FIFA. Et ce n'est pas la peine de vous dire qui a gagné cette lutte de pouvoir, Blatter faisant passer le départ de Ben Hammam comme une condition pour ne pas menacer davantage la candidature de Qatar 2022.

L'homme qui avait réussi à vendre comme possible l'organisation de la Coupe du Monde dans le Golfe était désormais seul. En parallèle, c'est toute la FIFA qui s'est effondrée peu après, les révélations journalistiques servant de base aux enquêteurs américains et suisses. La conclusion du livre est sans appel : « Si les enquêteurs peuvent faire avouer ce qu'il sait à Ben Hammam, alors les ruines de la FIFA se transformeront en poussière et l'ambition qatarie d'accueillir la Coupe du Monde restera un rêve inaccessible« .

Andrew Jennings, autre journaliste anglais, a lui aussi enquêté sur la FIFA, publiant un livre Carton rouge : les dossiers troublants de la FIFA dès 2006.