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Boca Juniors vient d’être sacré champion d’un championnat d’Argentine à la toute nouvelle formule plusieurs journées avant son terme. 30 équipes, dix montées, pas de matchs aller-retour mais en fait si mais que pour des clasicos. Un championnat qui s’est terminé il y a quelques semaines mais en fait pas tout à fait.

Voilà un peu le résumé de ce championnat 2015 qui a débuté en février dernier. Vous n’y comprenez toujours rien ? Voici des éléments d’explications.

Retour vers le passé

Un petit retour en arrière s’impose. Alors que tout allait bien dans le meilleur des mondes, les pays d’Amérique Latine (les membres de la Comnebol plus ceux au Nord de la Colombie), avaient des championnats au format dits longs, c’est-à-dire un championnat au format classique au cours duquel les équipes s’affrontent deux fois en matchs aller-retour pour à la fin sacrer un champion (j’ai bien dit un, et un seul).

Puis, patatra !

L’AFA (la Fédération de Football Argentine) décide en 1991 de passer à un nouveau format, qui deviendra le modèle et la matrice que tous les autres pays d’Amérique Latine suivront. Ce format est celui que l’on connaît tous, avec un système de championnat d’ouverture (au premier semestre de l’année civile) puis de clôture, se déroulant lors du deuxième semestre. Les Mexicains ont eux fait encore plus fort en instaurant un système de play-offs en plus à la fin de chaque tournoi pour désigner le champion. Le but de ces championnats était d’avoir deux champions sur l’année civile et donc augmenter l’enjeu, et donc augmenter l’attractivité de chaque match, et donc pouvoir vendre plus chers les droits télé, puisque sur quasiment chaque match il y a un enjeu potentiel. Cela reviendrait dans nos championnats européens à sacrer un champion d’automne puis un champion d’été (ou de printemps, au choix) chaque année, sans avoir la possibilité de désigner un seul champion, puisque les deux champions d’ouverture puis de clôture ne se rencontraient jamais, chose aberrante, même si c’était le cas depuis 3 ans.

[bloquote]Le football a été nationalisé en Argentine, ça en dit long sur les relations entre foot et politique au pays de Maradona[/blockquote]

Ce système a amené des effets pervers, non seulement l’équité sportive n’était pas forcément respectée, puisque toutes les équipes ne se rencontraient qu’une fois par tournoi, sur le terrain de l’une ou l’autre équipe, mais cela a surtout amené les clubs à miser sur le (très) court terme, puisqu’il suffisait à partir de 1991 de faire six bons mois pour pouvoir être champion et satisfaire les supporters et/ou investisseurs. Le court terme dans le football, n’est jamais bon, et la patience paye toujours (observons le Bayern ou le Barça, pour les exemples les plus significatifs).

Les clubs ayant une vision courtermiste avec ce système, ne se sont mis à investir que le strict minimum pour être performant dans l’immédiat, et la formation des joueurs en a pâti. Car les joueurs, loin d’être imbéciles ont fini par comprendre qu’ils ne leur faillaient que six bons mois pour pouvoir prétendre se faire repérer par les recruteurs européens ou autres. Loin de moi l’idée d’avoir trouvé la raison au faible niveau de jeu des championnats latino-américain et leur incapacité à conserver en leur sein leur bons éléments au-delà des 23 ans, mais ce système de championnats courts pourrait en être une des causes selon moi. La précipitation n’a jamais bien fait les choses comme l’a dénoncé justement dans El Pais « El indio » Solari, joueur argentin ex du Real et de l’Inter, et désormais entraineur chez les jeunes au Real qui dénonçait l’immédiateté de besoin de résultats dans ce système.

Cet enjeu à chaque match mets de la tension sur chaque rencontre et donc attise les violences entre supporters d’équipes qui s’affrontent dans des matchs couperets. Ce système de tournoi court pourrait être aussi l’une des causes de la violence dans les stades argentins et sud-américains.

Les conséquences sur la lisibilité et la crédibilité de ces championnats ont été aussi très importantes, puisqu’avec deux champions par an au lieu d’un seul, difficile de s’y retrouver après plusieurs années, et quid de la valeur des champions acquis à la sueur d’une saison harassante sur toute une année. Valent-ils deux championnats courts, un seul, un et-demi, un tiers de championnat d’ouverture, mais deux-tiers de clôture ?

On peut rajouter à cela l’instauration dès 1983 d’une espèce de moyenne de points gagnés sur plusieurs saisons pour décider des relégations. Cela a été créé pour éviter de faire descendre surtout les gros clubs au terme d’un mauvais tournoi, ce qui n’a pas empêché ceux-ci de quand même descendre (River puis Independiente plus récemment). Ce système devait au départ être aboli avec cette nouvelle formule de championnat, mais il n’en a finalement rien été pour le moment. Ce système de rélégation a malheureusement été aussi adopté par d’autres championnats comme au Mexique notamment.

Le championnat d’Argentine s’apelle Julio Gondrona, alors que s’il était encore vivant il aurait un mandat d’Interpol aux fesses.

Usine à gaz

Comme souvent en matière de football en Amérique Latine, les Argentins ont encore innové, et cette fois-ci encore plus fort ! Un championnat à 30 équipes ! Et sans matchs aller-retour, enfin si mais non. Ce championnat nouvelle version était un vœux cher à Julio Gondrona, le feu président de l’AFA pendant 35 années qui y a régné en despote tout puissant, même si c’était déjà lui qui avait instauré l’ancienne version. Les modalités exactes de ce championnat 2015 n’étaient toujours pas connues début en décembre 2014 (l’organisation à l’Argentine sûrement) ! On savait que l’on allait jouer à 30 équipes, mais suite à la mort de Gondrona à l’été 2014, personne n’arrivait à se mettre d’accord sur la formule à retenir.

Il a d’abord été question de faire deux groupes avec un système de play-offs sur la deuxième partie de saison, puis de jouer un tournoi court de transition pour faire un tournoi long de mai 2015 à juin juillet 2016 pour s’aligner sur les calendriers européens (ce qui aurait été sûrement une sage décision) puis finalement les dirigeants ont fini par se mettre plus ou moins d’accord pour jouer un match aller simple contre chaque équipe plus un match retour contre une équipe pour faire 30 journées. Ce match retour n’étant autre que le Clasico de chaque club ou faute de mieux le derby régional au sens large si le club rival n’est pas dans la même division. 10 équipes sont donc montées en Première Division à l’issue de l’année 2014, dont 3 n’y avaient jamais mis les pieds. La plupart sont des équipes aux structures modestes et peu professionnelles, ce qui contraste avec les équipements de relativement haut niveau de clubs comme River Plate, Boca ou Newell’s, pour ne citer qu’eux.

Il faut souligner que plusieurs équipes qui viennent de monter ne sont pas de Buenos Aires ou de sa très grande région, ce qui dépolarise et fédéralise (un petit peu) le championnat. Résultat, 30 clubs mais qui ne s’affrontent qu’une seule fois. Le tout pour affronter son meilleur rival une seconde fois lors de la 24 journée, ce qui a donné une journée de championnat spéciale clasicos argentins avec des affiches telles que River – Boca, Newell’s – Central à Rosario, ou encore Independiente – Racing pour ne citer que celles-ci.

Ce championnat s’appelle Julio H. Gondrona, en hommage au défunt dirigeant, ce qui est assez ironique quand on sait sa forte implication à la FIFA, et qui s’il n’était pas décédé avant, aurait sûrement un mandat d’arrêt international aux fesses suite au scandale de la FIFA, mais bon, le football argentin n’est pas à une contradiction près.

Il faut savoir que le championnat n’est pas tout à fait terminé puisqu’il existe des mini-tournois qualificatifs pour les coupes continentales (la Libertadores et la Sudamericana), pas très clairs là non plus dans leur fonctionnement, coupes continentales pour lesquelles il faudrait là aussi un article explicatif tant il est difficile de comprendre leur fonctionnement et la différence entre les deux.

Histoires de présidentielles

Alors comment en est-on arrivé là ? Plusieurs explications, compatibles et complémentaires.

La première est évidemment sportive. Avec la baisse du niveau du championnat argentin, il devenait inéluctable de trouver un moyen de rehausser le niveau. Le changement de format s’explique en partie pour pouvoir s’aligner sur les championnats européens. Certains acteurs du football argentin réclamaient depuis un moment une réforme des calendriers pour plus d’harmonisation et de cohérence face au calendrier mondial et notamment européen. Carlos Bianchi, alors encore entraineur de Boca, déplorait sur les ondes de Radio Foot International en janvier 2014 le fait que la période des transferts de janvier soit si courte et limitée en nombre de recrues possibles alors que c’est la période de pré-saison pour les équipes argentines. Du coup, les clubs argentins se voyaient dépouillés en plein été (en Europe), alors que cela ne correspondait qu’à la mi-saison en Amérique du Sud. Par ailleurs un championnat long oblige d’une certaine manière à miser sur le moyen terme, au moins une année complète et plus seulement sur une demi saison.

Mais la raison principale serait bien plus cynique (voire sinistre), puisque ce serait en fait pour des raisons purement politiques (comme cela arrive fréquemment en Argentine avec le football) que cette formule aurait vu le jour. Ce qu’il faut savoir c’est que le football argentin a été nationalisé en 2009, comme quand un état nationalise ses matières premières comme le pétrole ou le gaz, ou les chemins de fer. Je m’explique. Le football argentin connaissait une crise financière et peinait à renégocier à son avantage les droits télé de son championnat. Il n’était d’ailleurs pas rare de voir sur des télés régionales, la retransmission des matchs en filmant avec des caméras fixes les tribunes et leurs supporters, faute de droits télés, avec pour seul commentaire les réactions et les chants des supporters. L’Etat est intervenu et a racheté la totalité des droits télé de la première division plus ceux de la sélection argentine puis en 2011 de la deuxième division pour un montant de 113 millions d’euros par an, une belle somme pour l’Argentine. Cette opération a été baptisée « Futbol para todos », « Football pour tous » et est diffusé sous ce nom. Il aurait pu tout autant s’appeler « Des jeux pour les Argentins ». En effet, l’état argentin, sous l’impulsion de sa désormais ex-présidente de la république Cristina Fernandez Kirchner a sauvé le championnat argentin en rachetant ces droits télés. La conséquence directe aura été la diffusion de l’intégralité du championnat argentin sur le réseau de chaînes publiques du pays. A cela il faut rajouter que la majorité jusqu’alors des clubs étaient de la (très) vaste région de Buenos Aires, et finalement avec peu de représentants de province, hormis historiquement Rosario, et un peu Cordoba ou Mendoza.

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Les élections présidentielles argentines approchant, (dont c’est finalement le candidat ultra-libéral d’opposition Mauricio Macri, ex-maire Buenos Aires, mais surtout ex-président de Boca pendant 12 ans qui est sorti vainqueur il y a une dizaine de jours), le foot est devenu une aubaine pour le pouvoir sortant. Avec cette nouvelle formule, 10 nouveaux clubs, pour la grande majorité petits et de province ! Que demander de plus ? Le peuple argentin de province pouvait enfin voir son club en première division et affronter les grands clubs que sont Boca ou River, mais surtout pouvoir voir l’équipe de sa petite ville ou province disputer ses matchs à la télé, et en prime-time. Comment remercier ce gouvernement qui a permis ce petit miracle ? En y glissant un bulletin de vote, le moment opportun, c’est-à-dire en novembre 2015. Voici sûrement la plus grande raison du changement de formule à cette période-là.

Mais au final plus de clubs ne fait pas forcément que des heureux parmi ceux-ci, puisque les plus grands clubs dénoncent la baisse des droits télé revenant à chaque équipe, puisque mathématiquement, si les droits n’augmentent pas, les clubs déjà présents dans l’élite touchent moins d’argent. Les gros clubs (Boca, River, Independiente, et d’autres) sont même allés jusqu’à demander que l’on ne distribue aucun droit télé aux nouveaux venus, afin de maintenir leurs propres revenus. Leur argument étant qu’ils débarquent sans réel mérite sportif ou structurel et que leur niveau et infrastructures ne sont de toute façon pas adaptés à la Première Division.

Ce championnat argentin est tellement incompréhensible qu’il l’est même pour les Argentins eux-même. La plupart des Argentins que j’ai consulté pour cet article n’ont pas réussi à m’expliquer avec précision son fonctionnement, et pire, chacun avait une version contradictoire, que ce soit concernant les relégations ou les formules possibles pour la saison prochaine.

Tout ça pour quoi au final ? Quelle suite sera donnée à cette nouvelle formule ? Et bien figurez-vous que personne n’en sait encore rien ! Il était au départ question qu’il y ai 4 descentes pour seulement deux montées lors des 4 prochaines saisons pour arriver à un total de 22 clubs en 2020 (ce qui pouvait confirmer les hypothèses que les 10 équipes qui sont montées d’un coup n’étaient qu’un grand coup politique à l’approche des élections présidentielles), mais on se rend compte que finalement il n’y a eu que deux descentes cette saison (Nueva Chicago et Crucero del Norte) et qu’il y aura bien deux montées. C’est à n’y rien comprendre ! La formule de la saison 2016 se décidera une fois le nouveau président de l’AFA élu. Nous aurions dû connaître celui-ci dès ce week-end, mais les élections ont tourné au ridicule, puisque sur 79 votants (ce qui empêchait théoriquement une égalité car seulement deux candidats se présentaient) il y a eu 80 bulletins de vote ! Oui, 80 ! 40 pour l’un, et 40 pour l’autre, chose impossible.

Retour vers le futur

River - renforts

Mais revenons un petit peu au football. Lucho Gonzalez, Pablito Aimar et Javier Saviola dans la même équipe, ça vous parle ? C’était il y a 10 ans déjà et River Plate a reformé en juin le trio magique en les rapatriant d’Europe (de la Malaisie pour Aimar). Marcelo Gallardo et sa tête juvénile, ça vous rappelle quelque chose ? Et bien le voici entraîneur de cette équipe de River Plate depuis le début de l’année pour sa deuxième expérience sur un banc. Tevez à Boca vous a fait rêver ? Il est de retour dans son club formateur pour vous faire à nouveau rêver. Voilà ce que nous a offert le championnat d’argentine cet été, un « Retour vers le futur » dans les règles de l’art, un petit peu en avance sur le 25 octobre. A préciser néanmoins que le retour d’Aimar aura été de courte durée, à peine un match puisqu’il a annoncé la fin définitive de sa carrière à cause d’un problème au genou, même pas le temps pour lui de gagner la Libertadores avec son club formateur, et ce, malgré tout le storytelling du club autour de son retour, le voici en vidéo ci-dessous.

Ce championnat aura finalement sacré Boca au terme de cette saison marathon, qui aura aussi remporté la coupe d’Argentine, réinstaurée en 2011 suite à plusieurs dizaines d’années d’absence.

Saviola, Aimar, Lucho Gonzalez et Tevez sont revenus dans leurs clubs formateurs.

San Lorenzo, le vainqueur de la Libertadores 2014, a fini 2ème, et Nueva Chicago et Crucero del Norte sont descendus. Marco Ruben de Rosario Central a fini meilleur buteur avec 21 buts, qui a joué furtivement à l’Evian TG, et ce n’est pas une blague. Pour rajouter une couche à la crise qui secoue le football argentin, les matchs du championnat Julio H. Gondrona se sont joués sans supporters visiteurs pour tenter d’endiguer la violence entre supporters, comme c’est le cas depuis 2013.

Pour finir sur un rayon de soleil pour le foot argentin, le grand River Plate débute le 16 décembre le Mondial des clubs au Japon !

Attendez-vous à de nouveaux rebondissements dans les prochaines semaines dont nous tenterons de vous tenir au courant. Et comme on dirait en Argentine, « Que quilombo ! » qui se traduirait par un « Quel bordel ! » Vous avez (enfin) compris ?

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