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Souvent appelée le gendarme du foot français, la Direction Nationale du Contrôle de Gestion est en fait plutôt un nouvel arbitre. Après l’homme en noir, place à des hommes de l’ombre qui interviennent de plus en plus en dehors des matchs pour sanctionner les irrégularités.

Les supporteurs lensois viennent de lancer une pétition contre la DNCG suite au refus de cette dernière d’accorder au Racing le droit, acquis sportivement, de monter en première division. S’en prennent-ils aux bons responsables ? La DNCG est-elle trop pointilleuse ou devraient-ils plutôt mettre en cause leurs dirigeants ? Le président Gervais Martel garde pourtant sa ligne de défense, faisant valoir des lenteurs de procédure et des différences de législation entre l’Azerbaïdjan (le pays de son principal actionnaire) et la France.

Nous avons confirmé le budget que nous avions présenté, et pour lequel nous disposions de dix-huit millions de garantie bancaire de la part de la Banque d’Azerbaïdjan. Cela n’a malheureusement pas suffi puisque la DNCG a confirmé la décision de première instance, en exigeant l’apport, de suite, de dix millions d’euros de la part d’Hafiz Mammadov. On a bien eu un ordre de virement qui est parti de Bakou dans la nuit de vendredi à samedi, mais qui n’est pas arrivé au moment où je vous parle… Cette décision est tombée, sans que ne soit tenu compte de la garantie de la Banque d’Azerbaïdjan.
Gervais Martel, président du RC Lens, via le site officiel

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Si l’affaire ne se dégonfle pas, l’emblématique patron du RC Lens annonce sa volonté de faire appel au Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF).

Les informations sont contradictoires et il est difficile de démêler le vrai du faux. Ce qui est certain en revanche, c’est que la Direction Nationale du Contrôle de Gestion ne manque pas de travail depuis quelques mois. Les clubs du Nord-Pas-de-Calais sont d’ailleurs particulièrement surveillés avec le transfert annulé de Sébastien Corchia à Lille, la rétrogradation administrative de Valenciennes puis sa réintégration en L2 suite à l’arrivée de Jean-Louis Borloo et d’autres investisseurs, et l’affaire lensoise donc. Mais à chaque fois qu’un club est dans le collimateur, des dommages collatéraux ont lieu dans un jeu de chaises musicales.

Concernant Sébastien Corchia, si l’affaire n’avait pas trainé autant en longueur, peut-être que Sochaux aurait eu assez de points pour se maintenir en disposant de son latéral droit. Les Doubistes sont encore concernés avec l’affaire lensoise car ils pourraient être les heureux repêchés mais en attendant une décision ferme et définitive, comment préparer la future saison sereinement ? Préparer un effectif pour se maintenir en L1 ou pour monter de L2, ce n’est pas la même chose, ni la même somme de droits TV, de billetterie… Et après tout, pourquoi le règlement stipule-t-il de sauver l’équipe de l’échelon supérieur et pas de faire monter une autre équipe de l’échelon inférieur en cas de défaillance d’un club ?

Faut-il pour autant parler d’acharnement de la DNCG quand on connaît la piteuse situation financière de nombreux clubs français qui ne disposent pas de mécènes comme à Paris et Monaco ? « Au 30 juin 2013, pour la quatrième année consécutive, le résultat net cumulé des 40 clubs de Ligue 1 et Ligue 2 présente un déficit s’élevant à 39 millions d’euros « , analysait Frédéric Thiriez, le président de la Ligue de Football Professionnel. En moyenne en L1 (saison 2012-13), la masse salariale représentait 71 % des produits d’exploitation. Un coût élevé malgré une diminution engagée depuis quelques années. Le principal problème est que le coût des effectifs ne prend pas en compte (ou pas assez) le résultat sportif qui génère pourtant les revenus (droits TV, Europe, sponsors…). Le rapport de la DNCG pointe ainsi « la part variable dans les rémunérations qui reste inchangée à 11 % du salaire fixe, ce qui reste très insuffisant pour des clubs globalement déficitaires et dans un contexte où les produits ne progressent pas. L’atteinte d’un équilibre d’exploitation, notamment via la variabilisation des salaires, reste l’objectif majeur à atteindre pour les clubs afin de réduire leur dépendance aux transferts, par nature aléatoire, ainsi qu’au financement des actionnaires ».

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Taper bêtement sur cette instance placée au-dessus des clubs, ce serait enlever toute responsabilité à ces derniers. Même si le football européen (et mondial) tourne uniquement autour de sa financiarisation, il est louable d’avoir un organisme de contrôle qui veille à ce que les clubs soient gérés comme des entreprises. Après tout, avec des joueurs, des employés et tout un éco-système économique autour du club professionnel, les répercussions sont trop importantes pour prendre la gestion d’une équipe à la légère. L’équation semble difficile à résoudre et les clubs professionnels, par l’intermédiaire de leur président de l’UCPF, Jean-Pierre Louvel, défendent leur impact socio-économique.

Les clubs professionnels français génèrent 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires, quand leur contribution sociale et fiscale s’élève à 700 millions d’euros. Bien que peu endettés, ils affichent malheureusement un résultat net négatif, mais restent cependant solidaires du sport amateur, auquel ils contribuent à hauteur de 127 millions d’euros, soit 10% de leur chiffre d’affaires…
Jean-Pierre Louvel, président de l’UCPF

Dans le collimateur des clubs, se trouvent aussi les évolutions de la fiscalité (suppression du droit à l’image, taxe à 75 % au-delà de 1 M€ de salaire…) qui compliquent encore leur prévisions de gestion.

Un contexte difficilement cernable

Il est donc difficile d’appréhender uniquement le football d’un point de vue comptable car ce sport berce dans l’irréel. Risque calculé ou pari sur l’avenir, de nombreux paramètres peuvent faire basculer un club. Comment ainsi reprocher à un président d’augmenter l’endettement de son club en achetant un joueur qui rapporterait le double ou le triple à la revente quelques mois plus tard ? Et à l’inverse, comment faire une confiance aveugle en des prévisions sportives (et donc de recettes) alors que les aléas (contre performance, blessure grave d’un joueur, suspension…) sont si nombreux ?

Avec des décisions discutables, des appels et recours en permanence, difficile d’y voir très clair. Il serait aussi trop facile de se plaindre que la DNCG fasse son travail alors même que l’excellent documentaire de Cash Investigation, diffusé sur France 2 en septembre 2013, pouvait laisser penser à de la complaisance d’un organisme de contrôle qui ferme les yeux sur des transferts douteux (avec l’exemple du transfert étrange du Colombien Carlos Sanchez de VA vers un club chilien inconnu).

Même quand ce n’est pas une histoire de gros sous, les problèmes financiers peuvent paralyser les petits clubs. C’est le cas cette saison avec Luzenac, 2e de National et donc promu sportivement en L2. Sauf que la DNCG a interdit l’accession et confirmé cette décision en appel. De quoi provoquer la colère du directeur général du club, un certain Fabien Barthez qui parle de « délit de sale gueule« . Pire même, absent du calendrier de la LFP en L2, Luzenac l’est tout autant de celui de la FFF en National, cela signifie-t-il sa disparition totale ? A contrario, cela provoque les espoirs de Chateauroux qui préserverait sa place en L2 malgré sa 18e place la saison dernière et de Strasbourg qui resterait en National au lieu de descendre en CFA. Dans le même temps, le sauvetage miracle de Valenciennes est venu doucher les espoirs d’Istres de rester aussi en deuxième division. Toujours en L2, Tours (ancien club de Laurent Koscielny et d’Olivier Giroud) ne bouge pas mais a vu sa masse salariale et son recrutement se faire encadrer.

Intransigeante, la DNCG pénalise-t-elle durablement le foot français ou le préserve-t-elle ? En tout cas, il ne faut pas oublier qu’à l’étranger aussi, certaines équipes sont, parfois, sanctionnées. C’est le cas de l’ex-nouveau riche Malaga, une équipe rachetée par le cheick Al-Thani en 2010 puis abandonnée deux ans plus tard et sanctionnée par l’UEFA d’une interdiction de participation européenne jusqu’en 2017 pour ne pas avoir réglée des dettes et salaires à ses employés. Endetté et aussi baladé par différents investisseurs exotiques, le club anglais de Portsmouth a été deux fois pénalisé en terme de points avant son placement en redressement judiciaire en 2012. En Italie, c’est le club formateur d’Antonio Cassano, Bari, qui vient de quitter la Série B pour cause de banqueroute. En Ecosse, les mythiques Glasgow Rangers ont aussi fait faillite et ont été forcés de rebondir en quatrième division.

D’autres cas d’école pour la DNCG

Le Mans, avec la MMArena (25000 places) inaugurée en janvier 2011, le club est rétrogradé en CFA par la DNCG avant que le tribunal administratif n’ordonne sa liquidation judiciaire. Aujourd’hui, le club est en CFA2.

Grenoble, dont le Stade des Alpes (20 000 places) a été inauguré en février 2008, a d’abord chuté sportivement : de L1 en L2 en 2010 puis devait descendre en National en 2011-12. Les difficultés financières ont poussé la DNCG à rétrograder le club en CFA, ce qui a poussé au dépôt de bilan avant un redémarrage en CFA2 puis une promotion en CFA en 2012-13