AvideceWopyBalab

J’aurais pu écrire un énième hommage à la gloire de l’immense David Trezeguet, joueur qui a bercé mon enfance. Mais plutôt que de tomber dans la mélancolie, je vais essayer d’expliquer pourquoi, selon moi, son départ attriste les amoureux d’un jeu qui a évolué trop vite pour les nostalgiques chez qui, c’est bien connu, « c’était mieux avant ». Alors, pourquoi l’avant-centre d’aujourd’hui est-il si différent de son prédécesseur d’il y a 20 ans ? Et pourquoi il n’y aura jamais de « nouveau Trezeguet » ?

Dans les années 90, le numéro 9 n’avait que pour unique mission de marquer. De façon assez grossière, et même si certaines équipes jouaient avec 2 attaquants, on pouvait généralement résumer l’animation offensive à 4 joueurs : le meneur de jeu, les  ailiers qui se contentaient de déborder le long de la ligne puis de centrer, et l’avant-centre qui devait finir le job. Cette obsession du but, ainsi que le rôle monofonctionnel des ailiers, a conduit les clubs à favoriser des spécialistes. Ainsi, les buteurs d’antan pouvaient être très moyens dans le jeu, mais excellents dans la finition. C’est ce paradoxe qui rendait David Trezeguet si spécial, puisqu’il était un joueur à peine correct de dans le jeu, mais son rendement dans la surface de réparation faisait de lui un buteur de classe mondiale. Son sang froid dans le dernier geste, sa capacité à cadrer dans toutes les positions, et sa capacité à se démarquer sont à montrer dans toutes les écoles. Malheureusement, le jeu a évolué, beaucoup plus vite que lui, et l’a rendu obsolète. Incroyable en Italie, terre de ses plus beaux exploits, où évoluent encore quelques dinosaures comme Luca Toni, Mario Gomez, Miroslav Klose, ou Antonio Di Natale, le Roi David devenait vite incompris sur la scène internationale, où on cherchait désormais une fusée pour prendre la profondeur.

Pourquoi nous n’aurons jamais de nouveau Trezeguet…

Ce glissement progressif entre l’attaquant-finisseur et l’avaleur d’espaces a eu un pionnier : Ronaldo. Le Brésilien, qui avait des années d’avance, a révolutionné le poste. L’avant-centre n’avait plus besoin qu’on lui serve le ballon sur un plateau pour faire parler la poudre. Il suffisait de le lancer, il pouvait à lui seul prendre de vitesse 2 ou 3 joueurs, puis marquer. En France, Djibril Cissé symbolisait bien cette évolution. Son jeu tout en puissance et en vitesse n’avait rien à voir avec celui de ses prédécesseurs auxerrois, Lilian Laslandes et Stéphane Guivarch. L’Angleterre a été une des premières contrées à mettre en valeur ce type de profil, allant même jusqu’à convertir d’anciens ailiers en avant-centre, profitant du fait que ces derniers savaient déjà déborder et prendre de la vitesse balle aux pieds. Ainsi, Thierry Henry d’abord, et Robin van Persie plus tard, sont devenus canonniers d’Arsenal après avoir été formés sur l’aile. Ce football des années 2000 était devenu trop rapide pour quelqu’un comme Trezeguet.

Aujourd’hui, c’est encore différent. L’avaleur d’espaces, s’il ne disparaitra pas tout de suite, commence à laisse place à l’attaquant-organisateur. L’ailier est devenu buteur, à l’image de Cristiano Ronaldo et Lionel Messi qui, quand ils sont devenus des machines à marquer, lançaient la plupart de leurs appels de l’aile vers la surface. Cela a créé un embouteillage devant. Le Henry d’Arsenal et le Ronaldo du Real Madrid se seraient probablement marchés sur les pieds. Karim Benzema, comme d’autres attaquants modernes type Wayne Rooney, Robert Lewandoswski ou Zlatan Ibrahimovic, s’est adapté à cette donnée, et est presque devenu un numéro 10. Plutôt, il évolue dans la zone précédemment réservée au meneur de jeu, au trois-quart du terrain comme on dit en Italie. Aujourd’hui, pour mettre en valeur l’ailier buteur, le numéro 9 doit savoir faire tout ce qu’un avant-centre classique pouvait réaliser, mais il doit aussi (et surtout ?) proposer des solutions dans le jeu. En permutant, en remisant, en combinant ou en aidant au milieu pour servir de rampe de lancement pour ses partenaires. Face au Bayern l’an dernier, c’est Benzema qui lance Gareth Bale dans la profondeur pour le but de Ronaldo.

C’est aussi lui qui envoie Angel Di Maria ouvrir le score face au Barça, en finale de Coupe du Roi. Si ses buts sont moins nombreux qu’à Lyon, à l’image de Lewandowski qui marque moins qu’à Dortmund, son importance dans le jeu n’a jamais été aussi grande. Et contrairement à ce que disait Trezeguet il y a une dizaine d’années sur Téléfoot, affirmant que « l’attaquant doit marquer, point barre », le football actuel favorise une approche plus collective, moins au service d’un seul finisseur. Le jour où le grand public comprendra cette évolution, on arrêtera d’ériger la statistique comme vérité absolue, et on apprendra peut-être à lire entre les lignes. Le nouvel espace privilégié de ces numéros 9, dans lesquels les Vieri, Morientes, Pauleta, Inzaghi, Frei, Raul, Trezeguet, Batistuta ou autre van Nistelrooy ne se reconnaitront jamais. Les nostalgiques déploreront le fait que ces nouveaux buteurs n’aient plus ce petit truc spécial qui nous fascinait. Les gens modernes diront, probablement à juste titre, et même si ça m’attriste de l’avouer, que les attaquants de demain seront de meilleurs footballeurs que leurs prédécesseurs. Saleté du temps qui passe…