Alors que la XXIe édition de la Coupe du monde de football de la FIFA doit se tenir en Russie du 14 juin au 15 juillet 2018, il apparaît manifeste que la sécurité sera un enjeu important de cet évènement planétaire majeur.
En effet, le groupe État islamique, par le biais de l’un de ses organes de propagande, Wafa Media Foundation, a diffusé en octobre 2017 des menaces explicites à l’encontre du mondial russe à venir et de certaines de ses stars annoncées, telles que les capitaines de la sélection brésilienne, Neymar Jr., ou celui de la sélection argentine, Lionel Messi. La Coupe du monde de football étant l’évènement le plus suivi au monde, un coup de force à l’occasion du Mondial russe servirait assurément Daech dans sa volonté d’intimidation des « ennemis de Allah » et de ralliement de partisans radicalisés.
Force est de constater qu’il ne s’agit en aucun cas de la première fois que le monde du football est pris pour cible. Joueurs, entraîneurs, sélectionneurs, dirigeants, certains d’entre eux ont subi bien plus que des menaces, et ce tant pour des raisons liées au football, que pour des motifs complètement étrangers à l’univers du ballon rond. L’histoire fourmille d’exemples, en voici quelques-uns.
Lorsque l’on songe aux personnalités footballistiques ayant été ciblées par des agressions, des enlèvements, voire des meurtres, le nom d’Andres Escobar, ancien défenseur de la sélection colombienne de football décédé en 1994, vient à l’esprit de manière assez spontanée. En 1994, la XVe édition de la Coupe du monde se déroule aux États-Unis du 17 juin au 17 juillet, et la Colombie fait assurément partie des favoris de la compétition. S’appuyant sur un spectaculaire et redoutable jeu à une touche de balle, la Tricolor a fait forte impression lors des qualifications, balayant notamment l’Argentine sur le score sans appel de 5 à 0 au Monumental de Buenos Aires. La Colombie semble armée pour réaliser un joli parcours. Lors du tirage au sort, les Colombiens se retrouvent en compagnie de la Roumanie, de la Suisse, et des États-Unis au sein d’un groupe A qui semble abordable pour la Tricolor ; mais la sélection colombienne déchante rapidement en s’inclinant 3-1 dès le premier match contre la Roumanie. Aussi, le second match, contre les États-Unis, est déjà décisif. Entre une équipe évoluant à domicile et voulant faire des exploits devant son public, et une autre équipe désirant se relever de sa défaite initiale et entrer définitivement dans la compétition en assumant pleinement son statut de favori, la tension est à son comble au Rose Bowl de Pasadena ce 22 juin lorsque la rencontre débute, aux alentours de 16h35. La Colombie doit absolument s’imposer pour continuer l’aventure. À la 34e minute, alors que le score est toujours 0-0, le malheureux Andres Escobar tacle le ballon au fond de ses propres filets en voulant écarter le ballon sur un centre venu de la gauche, permettant ainsi aux États-Unis de prendre l’avantage.
La Colombie est finalement défaite sur le score de 2-1, et éliminée avant même le troisième match, devenu anecdotique. Andres Escobar ne sait pas encore qu’il paiera de sa vie ce but contre son camp : le 2 juillet 1994, à la sortie d’un bar de Medellín, Escobar, alors pressenti pour rejoindre le Milan AC, est assassiné de douze coups de feu tirés à bout portant par Humberto Muñoz Castro, lequel aurait crié « gol ! » à chacun des coups de feu tirés. Il s’agit, encore à ce jour, de l’une des plus mémorables agressions d’un joueur de football, qui a payé pour la mauvaise performance de sa sélection au mondial américain, devenant ainsi le bouc émissaire de toute une nation et de ses éléments les féroces, particulièrement des syndicats de jeu de hasard et des groupes de narcotrafiquants, qui auraient été les commanditaires de Humberto Muñoz Castro.
Si Andres Escobar a été victime de représailles, en étant pris pour cible suite à son but contre son camp, force est de constater que les agressions envers les personnalités du monde du football n’ont pas seulement été postérieures à des événements, mais parfois antérieures. Ces agressions n’ont pas seulement été des représailles, mais se sont parfois voulues préventives et destinées à entraver, voire empêcher la tenue d’évènements, jugés controversés, dont rien ne semblait pourtant pouvoir enrayer la bonne tenue. L’un des contextes les plus fertiles pour étayer cette idée reste sans nul doute celui de la XIe édition de la Coupe du monde de football, qui se déroule en Argentine du 1er au 25 juin 1978, durant la dictature militaire instaurée par Jorge Videla, consécutive au coup d’État du 24 mars 1976 renversant la présidence d’Isabel Perón. Durant le régime de Videla, tous les opposants politiques et civils au régime argentin sont traqués, enfermés, torturés et exécutés sans relâche. Dans ce contexte, la Coupe du Monde de football de 1978 revêt de facto un enjeu géopolitique capital.
Le régime argentin entend en effet se servir de la compétition pour améliorer son image sur la scène internationale, en organisant l’évènement de telle manière que l’ensemble des participants et observateurs soient séduits et en oublient les tragiques destins de milliers d’opposants se jouant dans les coulisses des festivités argentines. Mais de nombreuses voix s’élèvent pour appeler au boycott de la Coupe du Monde de 1978, en particulier en Europe, où des mouvements incitent les sélections européennes à ne pas se rendre en Argentine, tels que le Comité pour le boycott de l’organisation par l’Argentine de la Coupe du Monde de football (COBA) en France. Se manifestant par des affiches, des dessins et autres types d’illustrations, le COBA organise aussi des réunions pour justifier son action en s’appuyant sur des écrits de journalistes ou d’exilés argentins.
Deux hommes sortent alors de ce véhicule. L’un deux, pistolet au poing, oblige Michel Hidalgo à sortir du véhicule et à le suivre, tandis que l’autre prend place derrière le volant, aux côtés de Monique Hidalgo.
Certains de ces mouvements d’appel au boycott du Mondial le plus controversé de l’histoire choisissent de procéder de manière extrêmement radicale pour faire entendre leurs revendications, en France notamment. Les joueurs de l’Équipe de France et les membres du staff ont rendez-vous le 24 mai pour s’envoler vers Buenos Aires à bord du Concorde. La perspective de participer à un premier mondial depuis 12 ans, conjuguée au statut d’outsider des Bleus, emmenés par Michel Platini, Didier Six, ou Patrick Battiston, tout ceci met sur l’équipe nationale française une pression certaine. C’est à cette pression que le sélectionneur français Michel Hidalgo tente d’échapper en se rendant quelques jours en Gironde en compagnie de son épouse, Monique, avant le grand départ pour l’Argentine. Décompression et repos sont les mots d’ordre de cette brève retraite girondine, avant de gagner l’Argentine pour tenter d’y écrire l’histoire. Le 23 mai, au matin, alors qu’ils circulent en voiture en direction de la gare de Bordeaux pour y prendre un train et regagner la capitale, un véhicule les oblige à s’arrêter sur le bas-côté d’une route déserte de Saint-Savin. Deux hommes sortent alors de ce véhicule. L’un deux, pistolet au poing, oblige Michel Hidalgo à sortir du véhicule et à le suivre, tandis que l’autre prend place derrière le volant, aux côtés de Monique Hidalgo. Michel Hidalgo, menacé par le pistolet de son agresseur, est conduit dans un bois sur quelques dizaines de mètres, avant de réussir, avec beaucoup de chance mais aussi de sang-froid, à désarmer son agresseur. Devant ce retournement de situation, ce dernier décide de prendre la fuite en compagnie de son complice. Si l’auteur de cette agression n’est toujours pas formellement identifié, un coup de fil anonyme à l’AFP passé le jour de l’enlèvement revendique cette tentative d’enlèvement, justifiée par la vente d’armes de la France à la junte militaire argentine, ainsi que par la participation de la sélection française au Mondial 1978. Les détracteurs acharnés de la XIe Coupe du Monde de football n’ont pas hésité à prendre pour cible le sélectionneur français Michel Hidalgo pour servir la cause défendue.
Si les agressions d’acteurs et de personnalités footballistiques sont souvent liées à des motifs touchant de près ou de loin à l’univers du ballon rond, le football est parfois totalement étranger à ce genre de situations. Ainsi, certains acteurs du monde du football ont ainsi été ciblés par des personnes dont les revendications étaient bien éloignées de toute considération sportive. Le footballeur, par sa notoriété, sa popularité, et souvent son statut de vedette, est alors perçu comme une icône contre lequel toute agression revêt une dimension médiatique et affective patente, laquelle pourrait assurément servir n’importe quelle cause.
Les policiers lui révèlent qu’ils ne sont pas des policiers…
Manifestement, c’est cette idée qui anime le Front National de Libération du Vénézuela le 24 août 1963. Le Real Madrid, quintuple vainqueur de la C1, se trouve alors en tournée à Caracas pour y disputer des rencontres contre le FC Porto et le São Paulo FC dans le cadre d’un tournoi amical. Il est important de souligner que la venue du club madrilène à Caracas est un véritable évènement, qui va bien au-delà de ce simple tournoi d’exhibition. Le matin du 24 août 1963, quatre policiers font irruption dans la chambre du buteur et vedette madrilène Alfredo Di Stefano, double ballon d’or et véritable star des Merengues. Les policiers souhaitant l’interroger quant à une affaire de trafic de drogue, Di Stefano n’a d’autre choix que de les suivre.
Mais rapidement après avoir embarqué l’attaquant espagnol, les policiers lui révèlent qu’ils ne sont pas des policiers, mais des membres du Front National de Libération du Vénézuela, une organisation castriste paramilitaire qui, tout juste un mois auparavant, avait tenté d’assassiner le président vénézuélien Rómulo Betancourt. Alfredo Di Stefano est donc victime d’un kidnapping. La peur étreint évidemment le buteur espagnol, retenu en otage, qui croit sa dernière heure arrivée, tandis que le monde est sans nouvelles de lui. L’enlèvement de l’une des stars du football mondial fait l’effet d’un tremblement de terre. Finalement, deux jours plus tard, Alfredo Di Stefano est relâché devant l’Ambassade d’Espagne au Vénézuela. En 2005, le dirigeant de cette opération, Maximo Canales, a reconnu s’être servi de la notoriété de Di Stefano : « Nous l’avions kidnappé en raison de sa renommée au Real Madrid […]. L’équipe est venue jouer un match amical et nous avons, malheureusement, dû lui infliger un carton rouge à quelques heures du coup d’envoi. »
S’il y a eu plus de peur que de mal pour Alfredo Di Stefano, dans d’autres cas, la tournure a malheureusement été plus tragique, et plus sanglante. Cela a notamment été le cas en 2010, au cours d’une Coupe d’Afrique des Nations qui, pour de regrettables raisons, restera à jamais dans l’histoire. La XXVIIe édition de la CAN se tient en Angola du 10 au 31 janvier 2010. Parmi les participants figure notamment le Togo, emmené par son capitaine Emmanuel Adebayor. Le vendredi 8 janvier, deux jours avant le début de la compétition, la délégation togolaise rejoint l’Angola en passant par la frontière entre le Congo et l’enclave angolaise pétrolifère de Cabinda. Les bus de la sélection togolaise essuient alors des tirs de pistolet mitrailleur d’une milice locale, dans ce qui ressemble fort à une embuscade.
« On venait de passer la frontière, après avoir effectué notre préparation et nos matches amicaux au Congo. Il y avait 70 kilomètres à faire et la Fédération avait pris la décision de prendre le bus. Apparemment, il y avait eu des directives pour que toutes les équipes arrivent en avion ; ce que nous ne savions pas sur le moment, nous les joueurs. […] Nous voyagions avec deux bus ; celui de devant transportait nos affaires. Après avoir passé la frontière, il y avait des commandos en 4 × 4 pour nous protéger, super armés, vraiment impressionnants. Ils étaient 5 par véhicule, avec des gilets par balles. Il devait y avoir une dizaine de 4 × 4. Ça nous a tellement choqués que certains joueurs les ont pris en photo. On n’a pas dû faire 500 mètres après la frontière que l’on a essuyé des tirs sur les bus. Ça a été assez violent. Il y a eu un tir de roquette pour lancer l’attaque. Le chauffeur de bus a été touché à la gorge par un sniper. Heureusement, il a réussi à rouler sur pratiquement 500 mètres pour nous dégager un peu du feu. Les commandos sont venus nous protéger. Je pense que nous ne nous en serions pas sortis sans eux. »
(Thomas Dossevi, attaquant international togolais).
Le bilan dans le rang des Éperviers est le suivant : deux morts, et neuf blessés, dont l’un, Kodjovi Obilalé, touché gravement à une vertèbre, doit définitivement renoncer au football. L’attaque est revendiquée par les Forces de libération de l’Etat du Cabinda, des rebelles qui demandent l’indépendance de cette enclave située dans le nord de l’Angola. Comme d’autres avant eux, ces indépendantistes se sont servis du football et de la large couverture médiatique accordée à ses acteurs pour servir leur volonté de démontrer leur existence, ainsi que leur force de frappe ; ce qui n’est pas sans rappeler, par exemple, la prise d’otages des athlètes israéliens par des terroristes membres de l’organisation palestinienne Septembre noir au cours des Jeux d’Olympiques d’été de Munich en 1972 :
En 1972, à Munich, le sang a également coulé, cette fois au cœur même du village olympique où les terroristes de l’organisation palestinienne Septembre noir ont séquestré l’équipe de lutte israélienne. La tentative de libération des otages par la police allemande ayant échoué, neuf athlètes israéliens, quatre terroristes et un policier trouvent la mort dans ce véritable acte de guerre
Pierre Milza, historien français