AvideceWopyBalab

Il y a 25 ans, en juin 1993, sur une autoroute allemande, décédait l’un des meilleurs joueurs de l’histoire du basket, le croate Drazen Petrovic qui révolutionna le jeu en Europe. Celui que l’on surnomma le « Mozart du basket » permit à bon nombre de joueurs européens de traverser l’Atlantique et tenter leur chance en NBA.

25 ans, en juillet 2018, c’est également ce que sépare cette mort prématurée de la première finale de Coupe du monde d’un pays issu des Balkans, cet après-midi contre l’Equipe de France au stade Loujniki de Moscou. Cette finale sera donc vue d’une manière particulière dans les Balkans qui fut le théâtre, entre 1991 et 2001, de terribles massacres et luttes fratricides (lire à ce sujet l’histoire édifiante de Sinisa Mihajlovic, né de mère croate et de père serbe et dont la famille fut déchirée lors de cette guerre)

Ce retour au premier plan d’un pays de la grande communauté (au sens géographique du terme) yougoslave ne pouvait que réveiller les passions enfouies et provoquer un retour en arrière historique, politique et culturel.

L’histoire du sport en ex-Yougoslavie est extrêmement riche et intéressante dans la mesure où, à partir des années 60-70-80, le sport fut vécu comme un vecteur d’émancipation du grand et encombrant cousin soviétique et permit une reconnaissance de ce pays qu’était la Yougoslavie en tant que tel. Que ce soit en Coupes d’Europe ou lors des championnats Européen ou Mondiaux, les équipes telles que L’Etoile Rouge de Belgrade, le Partizan de Belgrade, l’Hajduk Split, le Dinamo de Zagreb ou le Velez Mostar et surtout l’Equipe nationale obtinrent des résultats probants (notamment les finales en Championnat d’Europe 1960-68 – Demi-finale 1976)

Paradoxalement, on le doit à un homme en particulier : Josip Broz dit Tito, un croate de naissance, qui dirigea d’une main de fer ce qu’on appelait alors la « République fédérative socialiste de Yougoslavie » et qui comprenait, outre la Croatie d’aujourd’hui : la Serbie, le Kosovo, la Macédoine, la Slovénie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Voïvodine.
Non pas que celui-ci fut un adapte du ballon rond (mais plutôt de cinéma) mais il comprit le premier la puissance de feu du football (et du sport dans sa généralité) sur la diplomatie et la scène internationale (le soft-power d’aujourd’hui) ainsi que la mise sous tutelle par ce moyen des différents peuples composant ce substrat qu’était la Yougoslavie.

La Yougoslavie a six Républiques, cinq nations, quatre langues, trois religions, deux alphabets et un seul parti.
Tito, légèrement dictateur

Que ce soit au football ou au basket-ball, au volley-ball ou bien en sport individuel (tennis, gymnastique…) tout était étudié de manière scientifique et la préparation a mis en exergue une quantité phénoménale de sportifs connus à travers le monde entier. La Croatie n’était pas en réserve dans ce domaine puisqu’elle fournissait un des plus importants viviers de joueurs de foot tels que Skoblar, Boban, Suker, Prosinecki hier, Modric, Rakitic ou Mandzukic aujourd’hui.

D’aucuns pensaient, d’ailleurs, qu’avec une telle somme de talents, d’individualités, de technique et de compétence sur chaque poste, la Yougoslavie serait championne du monde. Mais les nationalismes, l’histoire et les dirigeants de l’époque ne l’entendirent pas de cette oreille.

Il faut lire à ce sujet, le livre de l’auteur italien Gigi Riva (le journaliste, pas le footballeur) « Le dernier penalty – Histoire de football et de guerre » (Editions « Fiction et Cie ») qui résumait la situation de la dernière sélection yougoslave unie :
« Dans deux ans la Yougoslavie gagnera la Coupe d’Europe. Si elle n’explose pas, si on s’occupe d’elle, si on la soutient. Mais je sais déjà qu’il n’en sera rien, c’est le pire qui arrivera. » (pp. 126-127). Ainsi parlait Ivica Osim à Florence le 30 juin 1994 à l’issue de l’élimination de son équipe. »

Comme une prémonition à l’éclatement qui allait advenir non seulement sur l’équipe en elle-même et les joueurs qui rejoindront des sélections serbes, croates, bosniaques… mais également la guerre.

De plus, même si les tensions ethniques, religieuses et le souvenir encore frais de la guerre des années 90 sont encore dans toutes les mémoires, tous ces peuples ont vécu, de gré ou de force, ensemble et un certain rapprochement ou pincement au cœur aura certainement lieu le soir de la finale contre les Bleus.

Cette « Yougonostalgie » est encore prégnante puisqu’elle renvoie à une période glorifiée ou fantasmée selon laquelle tout allait pour le mieux entre les peuples du temps de Tito. Et ce miroir est encore très présent pour de nombreux nostalgiques de cette époque où le pays était uni.

Et si cela doit valoir quantité d’insultes, même un Belgradois comme le tennisman Novak Djokovic essaie à son niveau de faire vivre la fraternité entre serbes et croates, ce qui prouve que, finalement, le sport, et le football en particulier, est le meilleur moyen de lutter contre les intolérances de tous bords.

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La Croatie, directement ou indirectement, est l’héritière de cette histoire. Si l’Equipe de France semble favorite face aux Croates, il faut toujours se méfier de « l’âme yougoslave » qui peut faire déplacer des montagnes et permettre à une équipe de se sublimer le jour venu en souvenir du temps passé et pour écrire sa propre légende.