AvideceWopyBalab

Anthony Mette est Docteur en psychologie, spécialiste de la psychologie du sport et de la santé. Il collabore avec plusieurs institutions/clubs de la région Aquitaine et consulte à la clinique du sport de Bordeaux-Mérignac.

Comme moi, vous avez certainement regardé les 4 premiers matchs de l’équipe de France et vous avez trouvé les joueurs bien timorés. Les divers commentateurs sportifs y sont même allés franchement : « ils avaient peur », « ils semblaient pris par l’enjeu », « ils jouaient avec le frein à main », voire « ils jouaient avec un balai dans … ». Donc, oui, les Bleus étaient stressés.

Les principes du stress

Pour autant, dans une telle situation qui ne stresserait pas ? Certainement pas grand monde. Car, comme j’ai l’habitude de le dire aux sportifs avec qui je travaille, tout le monde stresse. Le stress est une réaction « normale », « animale », qui nous prévient face à une menace envers notre propre existence. Dans la nature, vous observerez ainsi facilement des réactions de stress chez certains animaux face à un prédateur plus gros qu’eux. Vous-même, si vous vous promenez dans une forêt et que vous vous retrouvez face à un ours et pas un ours en rose éternelle ! Votre cerveau et votre corps vont très vite vous envoyer des signaux « alerte rouge ».

Dans une certaine mesure, toutes les compétitions sportives, et donc les matchs en Championnat d’Europe des nations, sont une menace pour l’organisme. Il est donc logique que les Bleus stressent. La question est plus de savoir jusqu’à quel niveau est-il normal qu’ils stressent, puisque objectivement, un match de foot n’est pas un ours affamé !

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Graduellement, on peut évaluer le niveau de stress des joueurs entre 0 et 10. Un stress de 0 est à mon sens impossible, sauf pour quelques joueurs qui ne ressentent aucune émotion (comme pour les psychopathes par exemple). Ce qui revient à dire que lorsque les joueurs disent qu’ils n’ont pas peur avant un match, soit ils font semblant, soit ils ne sont pas lucides envers leurs émotions, soit ils sont psychopathes !

Un stress entre 1 et 3 représente un niveau « acceptable » pour une compétition sportive. C’est l’objectif que les sportifs doivent de se fixer en termes de préparation mentale. A ce degré de stress, les joueurs auront quelques symptômes cognitifs, comme des doutes, des peurs de mal faire et quelques symptômes somatiques (tensions musculaires, rythme cardiaque accéléré). Mais ils feront face rapidement à la situation et leurs performances ne seront pas perturbées.

Entre 4 et 6, les symptômes commencent à être plus importants et surviennent plus longtemps avant la compétition. Les sportif commencent ainsi à beaucoup réfléchir à leur match plusieurs jours avant la compétition, ils ont des doutes récurrents, se remettent en question, et les symptômes somatiques sont eux plus prononcés (avec apparition de maux de ventre et sudation importante).

Au-dessus de 6, la menace (soit le match et la possibilité de perdre) est vraiment perçue comme très importante par le sportif et les symptômes de stress sont envahissants. Les symptômes sont de plus présent longtemps avant le match : d’une semaine à 15 jours. Au pic du stress, on observe chez certains sportifs des vomissements, des sensations de tétanie, de perte de contrôle. De ce fait, les conséquences du stress sont très négatives pour le sportif à la fois en termes de performance, de fatigue et de santé. Certains arrivent à performer malgré cette peur intense mais c’est dans la douleur.  J’aurais adoré vous donner des exemples de footballeurs stressés mais (1) je suis tenu au secret professionnel, (2) il est tellement mal vu pour un footballeur de dire qu’il stresse que les joueurs s’épanchent très peu sur la question dans la presse.

S’entrainer à la gestion du stress

En ce qui concerne les Bleus, rassurez-vous, je ne pense pas qu’ils ressentent un stress supérieur à 6 lorsqu’ils jouent un match, même en ouverture du championnat d’Europe (en finale ? à voir…). Pour une raison très simple, le stress est un facteur psychologique d’accession au haut niveau. Mieux, plusieurs collègues chercheurs émettent l’hypothèse que la capacité de gestion du stress est l’habileté mentale la plus importante chez le sportif, bien avant la fameuse confiance en soi ou la motivation.

De mon expérience avec les footballeurs et les différents sportifs que j’accompagne (tennis, judo, rugby, moto, etc.), je constate également que la capacité qu’ont certains à bien gérer le stress leur permet de gravir les échelons plus facilement. Du fait de leur éducation, de leur personnalité ou de leur plus ou moins grande sensibilité, certains joueurs paniquent donc moins que d’autres lorsqu’ils sont en situation de match. Paradoxalement, les êtes humains qui stressent le plus « survivent », dans le sens où ils ne prennent pas des risques insensés, ils se protègent, mais se sont rarement ceux qui accèdent au haut niveau sportif. En tous les cas, le fait que les bleus aient atteints l’excellence sportive est un gage de bonne gestion du stress.

Alors pourquoi objecterez-vous, n’étaient-ils pas au meilleur de leur forme au début de cette compétition. Pire, tout le monde s’entend pour dire qu’ils étaient stressés. Tout le monde a remarqué que leurs gestes étaient plus lents. Il y avait des approximations, des hésitations, des erreurs typiquement dues au stress.

De fait, dans un match l’exécution motrice peut être perturbée par le stress cognitif (ou anxiété cognitive). Ce que les sportifs font facilement à l’entrainement et qui leurs prend 3 millième de seconde, est court-circuité par l’enjeu de la compétition. La moindre pensée, la moindre émotion (dont le stress) viennent perturber le mode automatique et ces 3 millièmes de seconde. Le temps de réaction est ainsi plus long, le pied en retard par rapport au ballon, on frappe le ballon de l’épaule et non de la tête, les dribble sont moins rapides, on frappe sur les poteaux (déjà 6 pour les Bleus), on hésite seul face au gardien, bref, on cogite et on rate ce que l’on réussit facilement à l’entrainement.

C’est pourquoi, en se basant sur ces « hésitations » des joueurs pendant les matches de poule et le début de match catastrophique de l’Equipe de France hier, on pourrait estimer le niveau de stress des joueurs entre 3 et 5. Si une petite caméra embarquée les avait filmé dans les vestiaires du Par Olympique Lyonnais, j’aurais pu vous dire encore plus précisément leur niveau de stress individuel mais restons sur ce que tout le monde a pu observer, les comportements sur la pelouse.

La pression est énorme

En somme, 3-5, c’est déjà trop ! Vous vous attendez à les voir jouer relâché, comme ils jouent d’habitude en club. Mais le championnat d’Europe ce n’est pas la ligue des champions. C’est encore moins la ligue 1 ou la coupe de France !

La rareté de cette compétition (tous les 4 ans) rend l’expérience plus difficile. Le niveau des adversaires, le statut de favori, les attentes d’un pays, les enjeux financiers, de sponsoring y sont beaucoup plus importants. N’oublions pas non plus que les bleus jouent à domicile et que le contexte socio-politique fatigue l’on attend beaucoup d’eux. Si la compétition se déroulait en Suède ils auraient déjà moins peur. En étant à domicile, la pression ressentie de la part des médias et du public est inévitable. Les bleus auront beau se murer dans leur hôtel (et attention au confinement !…) l’information leur arrivera toujours aux oreilles. Pour être exhaustif parmi les nombreux facteurs de stress il faudrait aussi rajouter la peur de se blesser, les évènements de vie personnelle, la période des transferts, les choix du sélectionneur et leur caractère imprévisible, les conflits dans le groupe, les conditions d’hébergement, les déplacements et l’état de forme actuel.

En tous les cas, la perception que les bleus ont de l’enjeu de cette compétition en France est « menaçant ». Ce n’est pas encore un ours affamé mais on s’en est approché hier et on s’en rapprochera encore s’ils vont jusqu’en finale.

Comment faire alors ?

Bien souvent, on me demande d’intervenir auprès de tel ou tel joueur une semaine avant une grande échéance. Autant vous le dire franchement, cela ne sert pas à grand-chose. On peut rassurer le sportif, le mettre en confiance, lui rappeler ce qu’il sait faire, ce qu’il a réussi jusque là, les solutions qu’il a su trouver pour faire face à la situation, mais cela ne changera pas sa gestion du stress globale.

En effet, il faut voir la gestion du stress comme un entrainement. Comme tout entrainement, cela nécessite du temps. Cela demande des mois, voire des années pour s’entrainer à bien gérer le stress. Il faut muscler son cerveau comme on muscle ses quadriceps pour arriver avant tous les matchs avec un stress compris entre 1 et 3. Des matchs de poule à la finale, de la 1ère journée championnat à la dernière, le stress de devrait que très peu varier, pour se situer dans une zone « normale » entre 1 et 3. De fait, les joueurs sauront alors mieux gérer les moments cruciaux comme les coups francs, les fins de match et les penaltys (Cf, le penalty râté par Griezmann lors de la finale de la ligue des champions).

A ma connaissance, seuls quelques visionnaires ont compris l’intérêt d’un tel travail : José Mourihno, Arsène Wenger, Pep Guardiola, Joachim Low. Les joueurs de l’équipe de France qui ont eu la chance d’être encadré avec ces entraineurs sont certainement mieux armés. Pour les autres, il faudra faire confiance à leur expérience et leurs propre intelligence émotionnelle (Cf, Griezmann qui a tenté et réussi son tir au but lors de la finale de Ligue des Champions).

Pour certains sportifs avec qui je travaille, je leur dit que ne pas s’entrainer mentalement est presque une faute professionnelle. En tennis par exemple, ou le niveau n’a jamais été aussi élevé, il est quasiment impossible d’atteindre le top 100 mondial sans avoir appris à gérer le stress. Il y a toujours des exceptions qui confirment la règle, mais si vous vous intéressez à ce que fait en ce moment Novak Djokovic, vous verrez qu’une grande partie de son niveau est due à son « mental ». En football, l’exigence que les joueurs et que les clubs imposent aux compétences psycholigiques est encore très faible. L’accent est surtout mis sur la technique, le physique et le tactique, voire un peu le social pour la capacité à vivre en groupe et à respecter les règles. Mais le mental est à la toute fin.

On pourrait voir ce constat comme pessimiste. Au contraire, je le vois plutôt comme quelque chose de positif. Cela signifie qu’il nous reste encore beaucoup de choses à faire. Comme pour les sportifs que je vois lors des premiers entretiens, lorsqu’ils passent des tests et que leurs résultats ne sont « pas très bon », je leurs dis: « si tu as réussi à être à ce niveau-là alors que tu ne sais pas bien gérer ton stress, cela veut dire que la marge de progression est énorme ! ».

Alors en attendant, que les dirigeants du foot français aient pris en considération ces éléments de progression, faisons confiance aux Bleus. Evitons les polémiques inutiles. Mettons en avant leurs qualités et ce qu’ils réussissent.

Et ne stressez pas trop. Plus vous stressez, plus ils stressent!