AvideceWopyBalab

Depuis quinze ans, le monde du foot a bien changé. L'équipe de France était championne du Monde ; les présidents de clubs étaient des mécènes débonnaires qui connaissaient la langue locale et qui ne portaient pas de keffieh ; l'international fraîchement appelé chantait (mal) l'hymne national… Voici bien des sujets ayant donné naissance à des débats et des analyses empreintes de nostalgie. Mais en quinze ans, la manière structurelle dont le foot s'est imposé dans les médias est un changement qui mérite également un ‘superzoom'.

Revenons en 1998. Le gentil spectateur allume son téléviseur à 21h pour voir son match hebdomadaire, dont il pourra revoir les images le dimanche dans le sacro-saint Téléfoot. En 2013, c'est Ligue 2 le lundi, Ligue des Champions mardi et mercredi, Ligue Europa jeudi, Ligue 1 et championnats étrangers du vendredi au dimanche, avant-match dès 18h, résumés à la pause, débriefs, talk-shows et autres afters dès le coup de sifflet final. Toujours pas rassasié ? Ne vous inquiétez pas, le championnat kazakh est à portée de télécommande.

Tu n'aimes pas le foot ? Va donc me chercher une bière, de toute façon Secret Story ne commence que dans une heure.

Le football étant devenu de l'audimat brut, il est servi au téléspectateur à toutes les sauces, et tant pis pour les profanes. Si l'indigestion atteint son paroxysme pendant les compétitions majeures de juin, tous les deux ans (Euro et Coupe du Monde), le ballon rond se taille la part du lion dans les programmes audiovisuels, et ce même en période ‘off'. Intéressons nous à un phénomène relativement nouveau, et pourtant central dans la prise de pouvoir du foot sur la télé : le débat télévisé (ou radio) sous forme de talk-show.

Table ronde de spécialistes autoproclamés, il souffle le chaud et le froid dans un capharnaüm de prises de positions manichéennes, d'approximations tactiques, et d'étalages de connaissances superflues et incomplètes. Impossible d'y couper, sur les ondes comme sur le petit écran, il connecte en permanence le spectateur lambda au terrain ou au vestiaire.

Mais de quoi est formée l'âme de ce conseil des sages ? Quels sont les membres qui le composent ? Voici les sept familles du débat footballistique.

Le maitre de cérémonie

Le modèle français du débat ressemblant traits pour traits au pugilat (exception faite de l'assemblée nationale, où on tombe plutôt dans le concours de sieste), il faut quelqu'un pour animer ces émissions, apte à énoncer les sujets, à dicter les règles du jeu, et à compter les points à la fin. Son rôle est crucial pour ne pas que les discussions dégénèrent, c'est pourquoi il est plus souvent élu grâce à ses qualités de diplomate qu'à sa connaissance footballistique pure.

Le bon Maître de cérémonie se reconnait dans sa capacité à museler l'ardeur du Polémiste tout en restant courtois, en introduisant nouveaux sujets, auditeurs et invités, et surtout en lançant la pub à un moment propice.

Il arrive parfois que ce rôle soit tenu par un autre personnage du débat, lui octroyant ainsi une double casquette, souvent contreproductive. Aux commandes, on peut donc retrouver le Polémiste Eugène Saccomano (On refait le match), la Femme Estelle Denis (100% Foot), ou encore l'Invité mystère Denis Balbir (France2 Foot).

Particularité : Il fait semblant de ne pas apprécier quand le débat s'envenime, alors que c'est ce qu'il attend depuis le début.
Phrase type : « Attendez les gars, on ne peut pas dire ça ! Non franchement, laissons notre auditeur intervenir ! »

Le jeu des 7 familles du talk-show foot

Oh, la belle prise

L’ancien joueur

Le jeu des 7 familles du talk-show footUne fois les crampons raccrochés, le footballeur fraichement retraité a trois options. Profiter de son argent durement gagné, devenir entraineur ou dirigeant, ou devenir consultant télé/radio. Pratiquement personne n'étant capable ou désireux de réintégrer une vie professionnelle classique (Big-up à Stéphane Guivarc'h, champion du Monde et vendeur de piscines), le poste de consultant est une transition en douceur pour celui qui veut garder un pied sur le terrain sans se fatiguer.

Malheureusement, avoir couru derrière un ballon dès l'âge de 10 ans n'aide pas toujours à analyser un match avec un œil de tacticien. On entend encore les échos des paroles de son entraineur dans les banalités débitées par l'ancien joueur, qui ne doit sa présence sur le plateau qu'au désir de légitimité de la chaine. Il devient pourtant rapidement plus à l'aise dans la critique que balle au pied, oubliant qu'en temps qu'ancien joueur, lui aussi ratait parfois ses matchs.

Particularité : Le poste qu'il occupait est toujours le plus important dans l'équipe.
Phrase type : « Je pense que l'équipe qui va recevoir aura peut-être l'avantage à domicile de jouer à la maison » Patrick Viera

Le polémiste

Le jeu des 7 familles du talk-show footLe cœur de l'émission, c'est lui. S'il n'a jamais mis le pied sur un terrain de foot, il a pourtant réponse à tout car c'est un prophète. Enfermé dans une image parfois sur jouée pour catalyser l'affection ou le mépris du public, le personnage qu'il interprète divise les spectateurs mais capte l'attention (et c'est le but). On ne peut le nier, il possède une vraie connaissance du football, mais verse si facilement dans l'exagération que le fond des problèmes soulevés à juste titre est souvent noyé par la forme sans demi-mesure.

Son spectre d'analyse est parfois contradictoire : il peut parfois dire blanc un jour, et noir le lendemain en clamant ‘'je le dis depuis le début'' ; à l'inverse il peut s'enfermer dans ses idées, sans dévier d'un iota, et peu importe la vérité du terrain. Il aime débattre et avoir le dernier mot. Il n'aime pas parler en direct aux personnes conspuées la veille.

Particularité : Il détient LA vérité. Et la verve nécessaire pour la défendre.
Phrase type : « Mais laissons les idiots débattre entre idiots, élevons le débat nous ! » Daniel Riolo

L’homme de terrain

Le jeu des 7 familles du talk-show footParce qu'il est primordial de savoir si la pelouse est bien tondue, où si le joueur qui vient de sortir sous les sifflets est content de laisser sa place, l'Homme de terrain est rapidement devenu une figure indispensable de la retransmission en direct. Outre son expertise certaine pour les conditions de jeu et sa capacité à lire le panneau du 4ème arbitre, il est également en charge de toutes les interviews à chaud, qui sont souvent la rampe de lancement du débat en studio.

Plusieurs écoles s'affrontent quant à la place de l'Homme de terrain. Pour TF1, c'est un vecteur de promotion sociale, la marche entre présentateur de Téléfoot et commentateur aux côtés d'Arsène –Non- Wenger. Pour Canal+, c'est plutôt l'inverse, on passe d'ancienne star à nabot vulgaire en Timberland, le tout avec le sourire. Pour France 2 et France 3, ça doit être une histoire de quota.

Particularité : Les joueurs et les entraineurs sont ses meilleurs amis. Du moins il le pense.
Phrase type : « Bonsoir à tous, la pelouse est verte, et il fait un peu tiède, les conditions de jeu sont idéales »

La femme

Le jeu des 7 familles du talk-show footAfin d'ajouter une touche de charisme, de sourire, de fraicheur, de… Non, bon d'accord, afin d'ajouter une paire de seins autre que celle de Pierre Ménès au débat macho, les émissions foot possèdent parfois leur présence féminine. Les a priori allant bon train sur leurs connaissances techniques, il est curieux de voir que la Femme est souvent une encyclopédie (révisée la veille), capable de ressortir un résultat d'un match joué il y a des lustres.

Son accession à un univers masculin étant facilité par une somme importante de connaissance (ou par une relation avec le sélectionneur et certains de ses joueurs), son apport au débat est intéressant. Surtout qu'elle capte également une partie de l'attention du Polémiste, qui ne parle pas foot quand il tente de la draguer, et ça soulage nos oreilles.

Particularité : N'arrive pas à poser ses couilles sur la table quand elle défend ses idées.
Phrase type : « Pour moi c'est un joueur intéressant, souvenez vous de son but à ses débuts avec l'équipe B de l'Esperance de Belgrade en U-17 il y a 5 ans »

Le spécialiste étranger

Le jeu des 7 familles du talk-show footAvec les nouveaux bouquets télévisuels, la diffusion du football s'est mondialisée, et le spectateur n'hésitera plus à tenter l'expérience étrangère quand un Barca-Réal est diffusé en même temps qu'un Nancy-Sochaux. Toujours dans l'optique de légitimer sa connaissance sur le football étranger, les chaines font maintenant appel à un ou plusieurs Spécialiste étranger.

Sa véritable origine importe peu, il peut venir de Nanterre tant qu'il porte tous les atouts caricaturaux du pays qu'il représente, et que le français moyen s'attend à voir. L'accent est évidemment une base indispensable, mais il doit être complété par le costume de toréador et les tapas au chorizo pour l'exemple du spécialiste espagnol. Il est persuadé que son championnat est le meilleur du Monde, mais n'hésite pas à donner des nouvelles des français jouant à l'étranger. En revanche, son temps d'antenne pour parler des matchs Manchester United-Chelsea ; Arsenal-Tottenham et Manchester City-Liverpool est limité à 5 minutes, parce que sinon il n'en reste plus que 20 pour parler de la coiffure de Beckham.

Particularité : L'accent italien emprunté à un pizzaiolo de Boulogne.
Phrase type : « Quand on voit la performance de (1), on ne peut que dire que le championnat (2) est le meilleur du monde »
(1)   La Youvé / Chalkeu-nounefire / Mantchster Yunaitide / El Rrrayo Vallecano
(2)   Italien / Allemand / Anglais / Espagnol

L’invité mystère

Le jeu des 7 familles du talk-show footSi la Femme est présente pour apporter une touche sexy au plateau, l'Invité mystère, lui, est là pour apporter un quota d'incompétence au débat, et ainsi soulager le spectateur, lui permettant d'avoir au moins une personne qui connait le foot encore moins bien que lui. On peut aller le chercher dans d'autres sports, d'autres milieux, même en politique (rappelons nous du brillant passage de François Hollande dans 100% Foot après l'Euro 2008).

Globalement, ses rares interventions sont molles et sans prises de parti, avec le plus souvent une comparaison entre le foot et son domaine de prédilection. Il s'agit possiblement d'un aimable accord entre une personnalité qui veut se montrer, et une chaine en manque de pluralisme, dans tous les cas, l'Invité mystère ne s'implique pas vraiment pour faire avancer le débat. Par contre, quand il le fait, ça vaut le coup d'œil.

Particularité : Il n'y connait rien, mais c'est le seul qui l'admet.
Phrase type : « J'adore ce joueur. Pour moi c'est un des plus grands joueurs du monde» Francis Lalanne, sur Anthony Le Tallec.