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Magique Système, l'esclavage moderne des footballeurs africains nous plonge dans un continent où les joueurs mentent sur leur âge et se font arnaquer par des agents pour croire en leur rêve européen.

Savez-vous que 26 joueurs du Nigeria ont été recalés de la dernière coupe du monde U17 pour tricherie sur leur âge ? Champion en la matière, le Nigeria (5 victoires dans cette épreuve) n'est pas le seul pays africain concerné et 14 « jeunes » Camerounais ont subi alors le même sort. Cet exemple révèle que mentir pour se rajeunir est une coutume très répandue en Afrique. Dans Magique Système, l'esclavage moderne des footballeurs africains (Marabout), les journalistes Bathélémy Gaillard et Christophe Gleizes ont enquêté sur ce phénomène qui implique la corruption d'employés municipaux pour délivrer de faux papiers et surtout un système gangréné par le business. En comparaison, La Traque des enfants footballeurs en Amérique du Sud apparaît presque comme le pays des Bisounours.

Dans Magique Système, on y apprend par exemple que l'Académie d'Abidjan « tente de faire au mieux» en limitant l'écart d'âge à un an ou deux. On y lit aussi une interview de Joseph Marie Minala, le Camerounais star de l'équipe U17 de la Lazio en 2014 qui s'est fait remarquer par son physique de quadragénaire…

L'ouvrage ne dépeint cependant pas les footballeurs comme des coupables mais au contraire comme des victimes de leur rêve, d'agents véreux et de clubs européens (Anderlecht par exemple) sans scrupule. C'est par exemple le cas de Nii Lamptey, espoir adoubé par et trimballé de club en club par son agent…

Les journalistes ont même interrogé l'acteur Benoît Poelvoorde à propos du film Les rayures du zèbre qui dépeint l'histoire d'un agent belge en quête de jeunes talents africains.

Tous les témoignages de joueurs, de coachs et de dirigeants illustrent cette problématique exacerbée par le faible niveau des salaires en Afrique et la volonté absolue des jeunes de rejoindre l'Eldorado européen. Un centre de formation peut ainsi accepter de laisser partir ses espoirs sans grande contre-partie pour ne pas détruire leur rêve.

Du précurseur français Jean-Marc Guillou au projet Aspire du Qatar qui détecte les plus grands talents africains (pour préparer la Coupe du Monde 2022, pour du business ?) en passant par Paulo Teixeira, ancien agent de ou Roberto Carlos, devenu un spécialiste du droit pour aider (moyennant 30%) les clubs africains à toucher l'argent dû par les clubs européens, la frontière entre football, humanitaire et exploitation est souvent ténue.

Tous ne sont pas pourris pour autant. Saer Seck, président de la ligue de football sénégalaise, fait du bon travail à l'académie Diambars : « Face à l'étoile noire que symbolise le foot mondialisé, il a des faux airs de Mace Windu, armé d'un sabre laser violet, tel un maître jedi esseulé face à une armée de clones prête à piller et à asservir« . Avec le risque pour un joueur de se retrouver abandonné en arrivant en Europe. En France, un certain coach Kampos s'occupe de l'entraînement des laissés pour compte à Saint Denis pour les aider à retrouver un club, même en CFA ou DH par exemple.

Interview de Christophe Gleizes, co-auteur de cette enquête remarquable sur la machine à fric et l’exploitation humaine des footballeurs.

Combien de temps avez-vous passé en Afrique pour ce livre et quelles difficultés avez-vous rencontré sur le terrain ?
« On a passé plus de neuf mois en Afrique, restant plusieurs semaines à chaque fois dans les pays suivants : Sénégal, Gambie, Mali, Côte d'Ivoire, Ghana et Togo. Je suis moi-même allé en République démocratique du Congo à l'occasion d'un reportage pour le magazine So Foot sur le trafic d'âge et d'identité.

Il est très facile de retrouver des victimes de ce trafic honteux: elles sont à chaque coin de rue en train de jouer, il n'y a qu'à tendre la main. Par la suite, il a fallu remonter les filières qui les avait abusées; c'était plus compliqué mais rien d'insurmontable. Je pense notamment au duo formé par José Gimenez, un agent espagnol proche de l'Atletico Madrid, et son rabatteur Malien Sidy Soukouna, qui ont escroqué des dizaines de joueurs maliens des deux côtés de la Méditerranée. Au bout du 50e témoignage, c'est toujours la même histoire qui revient, à quelques nuances près : « on m'a promis un test en France ou en Belgique, ma famille a payé 4000 euros ou hypothéqué la maison pour pouvoir me faire partir. Après m'avoir vendu du rêve, l'agent s'est envolé dans la nature me laissant sans papiers au Maghreb ou en Europe. Maintenant je suis bloqué, je ne sais pas quoi faire, je ne peux pas retourner chez moi car ma famille s'est endettée et fonde beaucoup d'espoir sur ma réussite« .

Pour en revenir à ta question, bien sûr lors d'une enquête il faut savoir franchir des portes fermées, comme celles d'Aspire, une organisation qui brille par son opacité. Nous avons par exemple obtenu des confessions assez rares de Josep Colomer, le président mondial du projet qatari, en allant le trouver près de la piscine de l'hôtel cinq étoiles qu'il possède à Saly, au Sénégal. De manière générale, je pense que la presse écrite fait que les gens – je pense notamment aux contrevenants de ce système auxquels nous laissons la parole à longueur de pages – ont plus de facilités à parler de leurs activités illicites que si on leur braque une caméra sur le nez ».

Nous estimons que la fraude sur l'âge touche 90% des joueurs africains nés en Afrique.

La triche sur l'âge des joueurs tient une place importante au point de parler de système généralisé. Est-ce à dire que de Yaya Touré à Drogba en passant par Eto'o, les grandes stars sont aussi concernées ? Et aucun d'eux n'a accepté de répondre à vos questions ?
« Tout le monde est concerné, de A à Z, des petits clubs de quartiers aux équipes nationales. Nous estimons que la fraude sur l'âge touche 90% des joueurs africains nés en Afrique. Se rajeunir de deux à trois ans sur son CV, voir de plus de dix ans chez les Nigérians qui sont de véritables spécialistes est un bon moyen de se rendre plus attractif sur le marché puisque les clubs cherchent des joueurs de plus en plus jeunes. Tout le monde y gagne : le joueur, l'agent et le club acheteur dans une optique de revente rapide. Tous ne le font pas cependant par gaieté de coeur : certains le font pour avoir une chance de percer. Puisque tout le monde triche, ils sont forcés de tricher à leur tour pour avoir une chance d'être repérés. Comme nous le disait un ponte de la fédération ivoirienne : « aujourd'hui, demander à un joueur africain moyen de ne pas tricher, c'est lui briser ses chances de carrière ».

est né à Anyama, une mairie ivoirienne connue pour ses largesses administratives.

Les grandes stars sont concernées, absolument; je pense notamment à Gervinho qui est né à Anyama, une mairie ivoirienne connue pour ses largesses administratives. Peut-être pas puisqu'il est arrivé très tôt en France. Joseph Marie Minala, le camerounais de la Lazio, est emblématique de ce trafic. Son physique de quadragénaire ne cadre pas vraiment avec celui d'un jeune espoir; à ce niveau de fraude, cela en devient risible. Il n'y a qu'à voir sa photo sur internet. Moi, je trouve cela risible. Joseph, qui est une personne tout à fait remarquable par ailleurs, d'une gentillesse extrême, nie avoir triché sur son âge, comme tout le monde. Lui ne pense qu'à une chose : gagner de l'argent pour sa famille, après avoir traversé l'enfer. Mais il n'est qu'une extrémité ridicule de ce trafic, comme c'est le cas pour chancel Mbemba, qui a quatre dates d'anniversaires différentes, ou , du Milan AC, qui a triché de cinq ans grâce à la complicité de sa fédération et de la FIFA ».

Même les exemples positifs (Paulo Teixeira aide les clubs africains moyennant 30 % ; l'académie Diambars s'est ouverte au projet Aspire) sont teintés de foot business. Avez-vous tout de même un peu d'espoir pour le foot africain après votre enquête ?
« Paulo Teixeira n'est pas un exemple positif : il aide les petits clubs pour gagner sa vie, c'est un des nombreux rouages de ce système tout comme les ONG (Foot solidaire) qui font leur beurre et fondent leur existence sur la permanence de ce trafic. Paulo Teixeira a cependant le mérite de parler sans se cacher et de nous raconter les arcanes de son métier. Sa liberté de parole, comme celle de Jean-Marc Guillou dans le livre, sont très rafraîchissantes et apportent beaucoup de profondeur à notre enquête.

Il est très difficile d'avoir de l'espoir car nous sommes face à une nébuleuse opaque qui s'alimente du rêve européen et du désir d'immigration propre aux enfants africains. Si déjà les clubs européens payaient de manière plus régulières les indemnités de formation aux clubs africains, cela permettrait au football local de se développer et d'endiguer l'exode…
C'est trop simple de rester les bras croisés devant ce trafic honteux qui fait penser dans les meilleurs des cas à du commerce d'être humains et dans les pires cas à de la traite négrière. Si je devais faire une métaphore animale, je dirai qu'ils sont à mi-chemin entre la poule aux oeufs d'or et la vache à lait. Il est temps que la FIFA, qui est la seule organisation capable de réellement faire avancer les choses au niveau international, se mette à réguler ce trafic. Mais ce n'est pas la priorité de Gianni Infantino, cheval de Troie acquis aux intérêts des plus grands clubs européens ».