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Dès 1979, Jean-Jacques Annaud avait dressé, dans une comédie vacharde, un portrait peu reluisant des coulisses du sport : magouilles, combines… Récit d’un film daté dont le sujet n’a jamais été autant d’actualité.

« Coup de tête » n’est pas un film de football à proprement parler. Le film n’est pas le récit épique du parcours d’une petite bourgade en Coupe de France franchissant d’homériques obstacles pour atteindre la finale. Loin de là ! Symbolisé par son héros revanchard, Francis Perrin, « Coup de tête » s’apparente plus à une comédie sociale dévoilant une satire du football, véritable « opium du peuple ».

1. Une bonne comédie française (si,si ça existe)

Sorti dans un relatif anonymat et réalisé par le néophyte Jean Jacques Annaud (réalisateur, depuis, de « La Guerre du Feu », « Au nom de la rose », « Deux frères »…), « Coup de Tête » est devenu culte de nombreuses années plus tard.

Commençons par le plus évident : Coup de Tête est un film abouti, drôle et juste à tous les niveaux. La plupart des films tentant d’appréhender l’univers du sport s’avèrent tout à fait inégaux en raison d’une absence de maîtrise du sujet abordé (les scènes de rugby de « Invictus » ?) ou d’un amoncellement de clichés (le quasi parodique « Fils à Jo »). En 1H20, Annaud, accompagné à la production par Alain Poiré et aux dialogues par Francis Veber, nous plonge avec talent dans l’univers du football amateur de province sans jamais tomber dans la caricature. Cette modeste comédie regorge de moments jubilatoires. La descente aux enfers et la revanche machiavélique de Perrin, paumé crédule devenu plus vicieux que ses maîtres, nous dévoilent des scènes savoureuses, portées par d’excellents comédiens et écrit d’une main de maître par Francis Veber. Le retour en grâce de ce paria oblige les notables locaux à assouvir tous les délires du nouveau messie. Intouchable publiquement depuis ces performances sportives et au fait du complot l’ayant fait accusé, Perrin désormais libre, va terroriser ces anciens bourreaux : il menace le tenancier d’exploser ses vitrines, de gifler les inspecteurs, de divulguer indirectement le réel coupable… Ambiance tendu de ce côté ci de l’écran, de l’autre, on se marre.

2. Un casting digne du Onze mondial

Dans le onze titulaire : Jean Bouise, césar du meilleur second rôle pour l’occasion, Michel Aumont, l’éternel Robert Dalban et, bien sûr, Patrick Dewaere.

Si le film a connu une sévère déconvenue au box office, il le doit en partie à ce dernier. Accusé d’avoir frappé un journaliste, il fut blacklisté de tous les médias durant toute la promotion du film. Impossible alors pour un Annaud pas encore célèbre, de faire valoir la qualité de son film privé de son plus gros atout commercial.  La performance d’acteur de Dewaere est pourtant fantastique : sevré de tout produit stupéfiant (condition sinequanone pour prendre part au tournage), il est à fleur de peau, rendant son charisme naturel et sa performance plus magnétiques que jamais.

On peut dés lors faire fi de quelques excès (notamment les deux dents qu’il aurait cassé à un accessoiriste trop impétueux), tant l’interprétation de Dewaere est magistrale. Son interprétation d’un Francis Perrin épris d’une violente soif de justice reste encore dans la mémoire du réalisateur qu’il considère comme « le meilleur acteur de sa génération ». Moins connus du grand public, les membres de la caste des nantis de Trinquant, Jean Bouise en tête, ne sont pas en reste et alternent gags grotesques et mauvais esprit avec brio et un plaisir non dissimulé.

3. Une approche sociologique du football de province

Pour se rapprocher de la réalité, Annaud reconnait avoir minutieusement préparé son film pendant un an et demi (dont 6 mois uniquement consacrés aux dialogues). « Coup de tête » constitue, à cet égard, une œuvre fondatrice dans sa filmographie. Ce travail intense de recherche deviendra, par ailleurs, sa marque de fabrique et sera plébiscité ultérieurement à l’occasion de reconstitutions historiques (« Au nom de la rose », « La guerre du feu ») ou d’œuvres animalières (« Deux frères », « L’ours »).

Tournées à Auxerre, alors que le club n’avait pas encore entamé sa fabuleuse ascension – mais que Guy Roux était déjà là ! – les scènes de match s’avèrent tout à fait réalistes… ce qui n’a finalement rien d’étonnant puisque la captation des images eut lieu durant une vraie opposition entre Troyes et l’AJA ! Les passages de la rencontre impliquant les acteurs, notamment les buts de Dewaere, furent tournés en parallèle, dans un stade vide, obligeant Annaud à utiliser des plans serrés afin de donner l’illusion d’une enceinte pleine alors que le nombre de figurants n’excédaient pas la trentaine. Résultat : les raccords et le subterfuge fonctionnent assez bien, d’autant que les scènes de foot ne durent qu’un laps de temps très court. Si le match est une réussite visuelle, c’est moins l’activité sportive que la sociologie du foot qui intéresse véritablement Annaud. Le réalisateur s’attache à dépeindre la réalité d’un sport en dépeignant l’ensemble des éléments se rattachant à ce phalanstère : la communauté des supporters, la dimension unificatrice, l’implication des dirigeants, la portée politique…

Accusé à l’époque d’avoir « singé le football amateur », Annaud s’en défend. Si les personnages sont effectivement très caractérisés (spécificité des comédies), Annaud estime ne pas avoir « trop appuyé » le trait. Au contraire, selon lui, sa restitution serait un portrait fidèle de la « vrai vie » et des expériences vécues dans son enfance et durant ses recherches pour le film. Annaud jure avoir assisté à des situations qui semblent plausibles (les manifestations excessives de joie des habitants du village) voire ubuesques (les promesses des commerçants locaux faîtes aux joueur à la mi-temps d’un match décisif : on passe de verres offerts par le tenancier de l’auberge à des réductions sur le dernier modèle vendu par le concessionnaire).

Minutieux, Annaud a investigué durant une année entière pour reproduire à l’identique l’univers de « club amateur de province ». Les décors, les tenues et même les coiffures ont tous été soigneusement sélectionnés après de longues recherches. Pour Annaud, ce travail de fourmi permet de rendre le plus film plus réel, plus authentique, et facilite grandement la performance de acteurs. Plus caricatural, le travail autour des personnages s’apparente à une restitution de la lutte des classes entre le « petit bourgeois », patron œuvrant dans l’ombre pour que la populace se soumette docilement, et le prolétaire, peu conscient de la misère de sa situation et dont l’attention serait accaparée par des plaisirs simples : la boisson… et le football.

4. La portée politique : le football comme opium du peuple

Ainsi, « Coup de Tête » loin du film « sportif » que certains semblaient attendre lors de sa sortie, est une véritable comédie sociale, inspirées par les grandes heures du cinéma italien de Risi et Scola. Si foot sert de prétexte aux tribulations et à la vengeance d’un Patrick Dewaere possédé, le film peut être considéré comme un pamphlet à peine voilée dressé à l’encontre du football.

J’entretiens onze imbéciles pour en calmer 800 qui n’attendent qu’une occasion de s’agiter.

Le sport est ici considéré comme un véritable opium du peuple : le travail acharné des joueurs, leur dévotion sans borne, le soutien inconditionnel des supporters sont tous orchestrés et servent les intérêts des pontes locaux. L’objectif : garantir la paix pour les élites locales – industriel, patron de café, concessionnaire…- et profiter d’un éventuel résultat positif pour asseoir leur domination. La fameuse phrase prononcée par le magnat industriel/président du club, interprété par Jean Bouise, retranscrit parfaitement ce schéma : « J’entretiens onze imbéciles pour en calmer 800 qui n’attendent qu’une occasion de s’agiter ».  Trinquant ne serait alors rien d’autre qu’une cité ouvrière machiavéliquement gouvernée par les hauts-placés, les salariés faisant office de pions dociles, dés lors qu’ils aient de quoi se divertir. Sauf qu’un de ses membres, l’atypique Francis Perrin, va renverser le rapport de force et se servir de son statut de star pour humilier ces anciens tourmenteurs.

 « Coup de tête » a aujourd’hui presque 40 ans. S’il avait été mal accueilli en 1979 pour avoir tâcher la « pureté du football », sa parution ne soulèverait aucune indignation aujourd’hui, l’image du ballon rond étant largement terni depuis la divulgation de quelques rocambolesques affaires (Qatargate, Platini, Blatter, paris sportifs…). Le vrai intérêt du film se situe donc dans sa capacité à faire comprendre aux spectateurs la nécessité de prendre du recul sur le sport : d’autres intérêts, bien plus importants et nécessaires pour préserver un ordre établi, se jouent au delà de l’enceinte sportive. 40 ans ont presque passées, et pourtant, rien ne semble avoir altérer le lien indéfectible entre la population et le sport de masse. Jamais les grands événements sportifs n’ont autant attiré les médias, l’audimat, le public et les sponsors … Alerté sur la naturelle réelle des grands compétitions sportives, l’opinion publique semble toutefois en incapacité de refuser ces occasions de festoyer, de se divertir, de se « lâcher », de vivre des émotions… La popularité et le soutien envers les dernières compétitions organisées en France sont des exemples récents. À croire que nous fermons les yeux sur la gentrification de masse, l’opportunité électorale, l’explosion des dépenses publiques, l’influence des mécènes privés… pour se congratuler autour de quelques semaines de compétition et de divertissement. Entre le Maracana de Rio 2016 et le Colisée, il n’y a qu’un pas que Francis Perrin, lui,  n’a pas franchi.

Trêve de digressions politiques. « Ce n’est pas un film de foot, ni contre le foot ». Comme le justifie son réalisateur, « Coup de Tête » est avant tout devenu un film culte car il fait partie des rares « comédies sociales » françaises abouties, drôles et merveilleusement cyniques.  Dévorez donc la pelloche.

Le pitch

Dans le petit village de Trinquant -, Francis Perrin passe de l’anonymat le plus total à celui d’un ennemi public N°1. Pris en grippe par ses pairs pour avoir manquer de blesser le meilleur joueur de l’équipe de football locale à quelques jours d’un match décisif, il se retrouve accusé à tort d’un viol qu’il n’a pas commis. Habilement menée par les pontes locaux (les petits bourgeois du patelin : le directeur de l’usine, le tenancier du bar, le concessionnaire…), cette mascarade n’avait pour but que de sauver de la prison le vrai coupable : ce même meilleur joueur de l’équipe de Trinquant.

 Emprisonné et accablé de faux témoignages, Perrin peut toutefois compter sur une habile déviation de la destinée : l’accident du bus du Trinquant FC. Face à une avalanche de blessés, le directoire du club se retrouve dans l’obligation de rappeler sur le terrain l’honni notoire pour composer une équipe compléte. Manque de chance, le paria devient une véritable vedette à la faveur d’un doublé et de la qualification de son équipe. Désormais intouchable, il entend jouer de son nouveau statut pour engager une vengeance jubilatoire à l’encontre de ceux qui ont injustement tentés de causer sa perte…