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Recrutée à Lyon, partie 4 ans aux Etats-Unis et aujourd'hui joueuse professionnelle à Essen en Allemagne, Estelle Laurier a accepté de répondre à nos questions. Elle nous raconte son parcours en club ainsi que son aventure avec l'équipe de France U16 / U17.


« Pour commencer, est-ce que tu peux nous raconter un petit peu ton parcours depuis que tu as commencé le football ? »

« J’ai commencé le football à l’âge de 7 ans au FC Chaponnay Marenne avec les garçons et après j’ai été recrutée à Lyon où j’ai joué de 2007 à 2016. Quand j’étais en classe de seconde et de première j’étais au pôle espoir de Vaulx-en-Velin (région Auvergne-Rhône-Alpes), je m’entraînais avec le pôle et je jouais avec Lyon les week-end. Quand j’ai eu 18 ans je suis parti à Wake Forest aux États-Unis, j’y ai joué 4 ans et j’ai aussi fait mes études là-bas, j’ai fait un Bachelor en communication. Et ensuite je suis revenue en Europe à Essen où j’ai signé pour 2 ans donc jusqu’en 2022. Actuellement j’ai terminé mes études et je ne me consacre qu’au football. »

« Dans quel club et à quel âge as-tu commencé le football ? »

« J’ai commencé au FC Chaponnay à 7 ans, je suis resté 1 an avant de partir à Lyon pendant 9 ans puis 4 ans à Wake Forest pour atterrir à Essen jusque la saison prochaine. »

« En 2007 et jusque 2016, tu pars à Lyon qui est alors le meilleur club français et une des meilleures équipes européennes. Comment es-tu arrivée là-bas ?

« J’ai fait les détections à l’OL quand j’étais petite. On était 110 filles donc j’ai été prise dans un petit groupe de 10 et ensuite ils ont sélectionné 5 filles je crois et moi j’ai été recrutée après les détections. Mon coach de Chaponnay m’a conseillé d’aller faire les détections en me disant que j’avais toutes les chances d’être prise et j’y suis allée et voilà j’ai été prise. »

« Lors de la saison 2015-2016, avec les U19, tu vas remporter la coupe de France face au PSG ce qui est une très belle performance. Malgré ça, est-ce que tu as entendu des gens dire ça ne reste que du football féminin ? »

« Quand on a gagné la coupe de France avec les moins de 19 ans, certes il y a des gens qui disaient que ça ne reste que du foot féminin mais pas non plus tout le monde. Moi ce que j’avais ressenti c’est qu’on avait été reconnues puisqu’on avait battu Paris, sachant que Lyon contre Paris ça a toujours été un gros match même si c’est chez les jeunes. Après on n’a pas eu non plus de reportage mais moi, autour de moi, ça a été reconnu. Quand je le disais au gens je n’ai pas forcément entendu dire que « ça ne reste que du football féminin ». Après certains le pensaient mais ne venaient pas me le dire en face. À l’époque donc en 2015-2016 le foot féminin avait déjà un peu évolué même s’il restait beaucoup beaucoup de boulot et encore aujourd’hui il en reste énormément. Quand j’avais 7 ans et que les moins de 19 ans gagnaient une coupe on n’en entendait pas parler alors que quand nous avons gagné, plus de monde était au courant, déjà rien que dans le club. »

« En plus de jouer dans une grande écurie européenne, tu es sélectionnée plusieurs fois avec l’équipe de France en U16 et U17. Tu entres en jeu pour la première fois sous le maillot de l’équipe de France U16 le 12 mai 2014 lors d’un match amical contre la République Tchèque. Tu l’attendais ce moment ? »

« Pour mon premier match j’étais très très heureuse parce que dès mon plus jeune âge devenir footballeuse professionnelle a toujours été un rêve tout comme jouer en équipe de France donc quand j’ai porté pour la première fois le maillot ça a été à la fois une fierté et un honneur. Je me rappelle que je me disais « il faut que je donne tout pour pouvoir y rester » parce que c’était vraiment mon objectif. Cette aventure en U16 / U17 s’était vraiment bien déroulée donc ça a été une grande fierté et un honneur. »

« Sur 17 sélections avec l’équipe nationale, tu es titulaire 13 fois. Tu es fière d’avoir été considérée comme une titulaire importante de ta sélection ? »

« Oui je pense que c’était surtout mon année U17 au cours de laquelle j’ai été énormément titulaire et je me rappelle que c’était vraiment une fierté parce que j’avais un rôle très important dans l’équipe. On a même failli gagner la coupe d’Europe mais on a perdu aux penaltys ça reste quand même de très bons souvenirs et je me rappellerai toujours de cette année là. Après avec les moins de 16 j’ai aussi fait quelques matchs titulaires mais l’année avec les moins de 17 était vraiment énorme.

D’ailleurs ma coach avec les moins de 17, Sandrine Soubeyrand, me faisait énormément confiance et me mettait titulaire tous les matchs. Je faisais tout pour y rester parce que c’était très important pour moi et tout comme gagner des trophées même si à la fin on a perdu c’était quand même un très beau parcours. »

« Aujourd’hui tu joues à Essen, en féminine. Comment as-tu atterri en Allemagne ? »

« Oui, aujourd’hui ça y est je suis professionnelle et je joue à Essen en Allemagne ! Compte-tenues des restrictions sanitaire du COVID je n’ai pas pu retourner aux États-Unis puisque je devais y retourner pour finir mon année jusque décembre 2020. Sauf que le virus a un peu changé les plans donc j’ai du travailler avec mon agent et le coach de Essen m’a proposé de faire un stage avec l’équipe. À la fin il a été très satisfait et il m’a fait signer mon premier contrat professionnel. C’était aussi une fierté ! »

https://twitter.com/DemonDeacons/status/1297926647539171328?s=07

« Est-ce qu’en Allemagne, les gens sont aussi réticents par rapport au football féminin, est-ce qu’il y a moins de différence entre le football masculin et le football féminin comparé à la France ? »

« Je pense que en Allemagne les gens sont quasiment comme les gens en France. Ici, je dirais que la différence est aussi grande et je pense que c’est équivalent que ce soit au niveau des salaires, de la reconnaissance ou des infrastructures. Mais ça se développe grâce aux grands club comme le Bayern qui investissent dans le football féminin. J’espère qu’avec le temps ça évoluera ! »

« Quand tu étais plus jeune, est-ce que tu as eu droit aux phrases telles que « le foot c’est pour les hommes » ? »

« Oui oui, je l’ai beaucoup entendue cette phrase. Surtout quand j’étais jeune mais encore aujourd’hui même si on ne me dit pas exactement « le foot c’est pour les hommes » quand je dis que je suis footballeuse professionnelle on me répond souvent « Ah bon ? Sérieux ? Mais comment ça se fait ? » ou encore « Comment ça se fait que tu sois aussi féminine alors que tu joues au foot ». Mais je pense que les gens ont des stéréotypes par rapport au foot féminin et qu’ils ne le connaissent pas vraiment. Ils ont besoin de voir que nous aussi nous sommes capables de jouer au foot tout en étant féminine. Mais c’est quand j’étais plus jeune que j’entendais beaucoup cette phrase. »

« Qu’est ce que tu répondais toi à ces réflexions ? »

«J’essayais de montrer que non, il n’y a pas que les hommes qui peuvent jouer au foot, les femmes aussi en sont capables. Des fois je leur proposais même de venir faire un foot avec moi et voir à la fin comment ça se passait. Je ne m’énervais pas parce que les gens sont justes inconscients. C’était tellement peu médiatisé à l’époque qu’une femme joue au foot que je peux comprendre que le fait d’en voir une puisse intriguer ou même choquer.»

« Il y a quelques temps, est allée à la Maison Blanche pour défendre l’égalité homme-femme dans le monde du football et particulièrement l’égalité salariale. Qu’est ce que tu penses de son geste, est-ce que tu es d’accord avec elle ? »

« Oui je sais que c’est le grand sujet du moment. Après aux États-Unis, je connais bien j’y suis allée pendant 4 ans et là-bas il y a beaucoup plus de filles qui jouent au foot même si le foot masculin se développe aussi. Le foot féminin est très regardé voire même plus regardé que le football masculin sauf que ce sont les hommes qui gagnent plus. Je peux comprendre que ce ne soit pas normal. En Europe on ne rapporte pas encore assez d’audience donc je ne dirai pas qu’on mérite l’égalité. Mais je pense que les salaires des footballeuses sont inadmissibles puisque nous les filles on doit souvent travailler à côté pour vivre de notre passion et je ne trouve pas ça correct puisque si on doit travailler on a moins de temps pour s’entraîner et on ne peut pas progresser. Alors que si on avait les infrastructures, si on avait assez d’argent pour mieux gagner notre vie et vivre complètement du football on aurait plus d’audience puisqu’on serait meilleures.

En conclusion, je dirai qu’aux États-Unis les filles méritent l’égalité salariale alors qu’en Europe il y a encore du boulot mais c’est une honte de voir à ce jour les salaires des footballeuses professionnelles. Ce serait une bonne chose pour le football féminin si on augmentait nos salaires, je ne dis pas qu’on doit toucher la même chose que les garçons mais qu’on puisse au moins vivre de notre passion et s’entraîner autant qu’eux. Mais quand on regarde l’inégalité homme-femme ça peut agacer qu’il y ait une telle différence. Au final on fait le même métier que les garçons, on s’entraîne, on joue des matchs mais on a très peu d’argent. »

« Quelle est la chose qui t’énerve le plus quand les gens parlent de football féminin ? »

« Ce qui m’énerve le plus quand les gens parlent de football féminin c’est quand j’entends dire que les filles jouent moins bien que les hommes, qu’elles sont moins fortes alors qu’on a juste un jeu différent. Une femme n’est pas formée comme un homme. Une autre chose qui m’énerve, ce sont les stéréotype. C’est à dire quand on nous dit « Ah mais tu es féminine, je pensais que toutes les footballeuses étaient des garçons manqués » ou même des fois j’entends dire « Ah mais je pensais que vous étiez toutes homo-sexuelles ». En fait nous sommes énormément jugées par le physique ou notre vie personnelle plutôt que sur notre football. On est pas toutes comme ça, chacun est différent et libre de faire ce qu’il veut. J’aimerais que les gens nous jugent plus sur notre football que sur notre physique, notre vie personnelle ou notre orientation sexuelle. Mais bon, il faut savoir être intelligent pour le faire changer d’avis en montrant nos capacités sur le terrain. »

« Est-ce que tu penses que dans plusieurs années, ces réflexions et ces remarques ne seront que du passé et que le football féminin aura un plus gros engouement ? »

« Oui je suis confiante sur le fait que dans plusieurs années toutes ces remarques et réflexions seront passées. De plus en plus de filles jouent au foot ce qui fait que ça devient quelque chose de normal qu’une fille fasse du football. Peut-être que dans 15 ans on dira que c’est normal qu’une femme joue au foot, peut-être que le foot féminin remplira des stades, je l’espère ! Peut-être aussi que les gens en parleront de plus en plus. »

« En 2018, au moment de remettre le ballon d’Or à Ada Hederberg, Martin Solveig (DJ Français) lui à demander si elle savait « twerker ». Lorsque tu as vu ça, quelle a été ta réaction ? »

« Honnêtement je n’étais pas très contente puisque c’était un manque de respect. Cette réflexion n’avait pas lieu d’être surtout à ce moment là. »

« Qu’est ce que tu aurais répondu ou fait à la place de Hederberg ? »

« À sa place je n’aurai pas réagi sur le moment parce que déjà c’est télévisé et qu’il n’aurait pas fallu faire un scandale. Mais derrière j’aurai été le voir pour lui faire comprendre que sa réflexion était très déplacée et que ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on sait forcément « twerker ». Je trouvais ça très déplacé et j’espère qu’à ce jour il en a conscience. »

« Avec la notoriété que tu obtiens grâce au football est-ce que tu espères pouvoir changer les choses ? »

« Oui, j’espère pouvoir changer les choses. Pour le moment ce n’est que ma première année professionnelle mais j’ai plein de projets précis pour l’avenir. J’aimerai faire changer les choses par rapport à notre reconnaissance mais j’aimerai aussi parler du racisme. Il y a des choses que je déteste à ce propos. Un jour si j’ai la chance d’avoir la notoriété d’ il est clair que ferai changer les choses. Surtout changer les mentalités de certaines personnes sur des sujets bien précis. »

« Quel message tu aimerais passer à toutes les femmes et les filles qui ne se mettent pas au foot puisqu’on leur dit que c’est un sport de garçon ? »

« J’aimerais leur dire qu’elles doivent se lancer. Que c’est un sport mixte, que les femmes savent jouer au football, qu’il ne faut pas avoir peur. Aussi je sais qu’il y a certains parents qui sont réticents quand leur petite fille leur dit qu’elle veut jouer au foot mais il ne faut pas hésiter, c’est comme ça que le football féminin va évoluer. Et jouer au foot c’est un bonheur extrême qui apporte tellement de valeurs et de bonnes choses dans la vie. Que ce n’est qu’un bonus, il faut que de plus en plus de femmes jouent au foot. Si de plus en plus de femmes jouent, ça deviendra normal qu’une femme soit footballeuse. »

« Pour conclure, dernièrement l’engouement pour le football féminin, malgré ce qu’on en dit grandit de plus en plus puisque les matchs sont diffusés que ce soit sur Bein Sport, sur TF1, sur M6 ou autre. Ça fait plaisir quand on est joueuse de football de voir que son sport est de plus en plus reconnu ? »

« C’est vraiment une fierté de voir que des chaînes diffusent les matchs de foot féminin. En tant que footballeuse professionnelle, savoir qu’on passe à la télé amène une petite motivation supplémentaire ! Mais si on diffuse de plus en plus, les gens vont s’y intéresser et ce n’est que comme ça qu’ils vont comprendre que oui, une femme et capable de jouer au foot et en plus à un très bon niveau. »