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Fort de sa victoire lors de la Coupe du Monde 2014, la sélection allemande, en accrochant une quatrième étoile sur le maillot de la Mannschaft, est entrée dans l’histoire et fait désormais partie des équipes qui ont marqué le football. Au panthéon du football mondial, la Mannschaft aurait pu se tenir aux côtés d’autres équipes talentueuses au potentiel certain, mais dont guerres et conflits ont interrompu l’ascension. Le destin d’une équipe se joue parfois à peu de choses. Rien ne permet d’affirmer que sans ces guerres, ces équipes auraient atteint les sommets du football mondial, mais la tournure qu’a pris l’histoire soulève forcément des interrogations. Et si… ?

Allemagne 1938

La Coupe du Monde, en 1938, se déroule en France, du 4 au 19 juin. Parmi les favoris de la compétition, on retrouve l’Italie, championne du Monde et championne olympique en titre, le Brésil, ainsi que l’Allemagne, qui a fini à la 3e place lors de la précédente édition. Dans un contexte où le régime totalitaire nazi, dirigé par le Chancelier Adolf Hitler, cherche à faire la démonstration de sa puissance aux yeux du monde entier et à affirmer sa supériorité sur les démocraties libérales, le Reich instrumentalise le sport à des fins de propagande. Par le sport, l’Allemagne nazie doit faire la démonstration de sa prééminence, tout en faisant l’apologie de l’homme nouveau qu’ambitionne de façonner, par essence, le régime fasciste. En 1936, les Jeux Olympiques d’été, organisés à Berlin, avaient totalement obéi à cette logique, et permis à l’Allemagne d’affirmer l’efficacité de la politique sportive totalitaire du régime nazi, l’Allemagne finissant première au tableau des médailles avec 89 médailles, loin devant les États-Unis (59 médailles).

Lors des mois qui précèdent la Coupe du Monde de 1938, l’Allemagne est présentée comme l’une des seules équipes à pouvoir empêcher le sacre du favori italien. De surcroît, suite à l’Anchluss survenu le 12 mars 1938, à savoir l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie, l’équipe allemande avait intégré les meilleurs joueurs autrichiens. Les Autrichiens, plus talentueux encore que les Allemands, avaient fait la démonstration de leur potentiel aux Jeux Olympiques de Berlin de 1936, ne s’inclinant que de justesse en finale face à l’ogre italien (2-1 a.p.). La sélection allemande aborde alors ce mondial en position de force. Mais le Reich se révèle finalement être le fossoyeur de la sélection allemande en 1938 : les meilleurs joueurs de la sélection allemande sont recrutés par l’équipe du « Grand Reich » montée par le régime nazi. Pour les dirigeants nazis, et alors que la guerre semble imminente, les objectifs ne sont plus seulement sportifs, mais également militaires.

Des millions de corps entraînés au sport, imprégnés d’amour pour la patrie et remplis d’esprit offensif pourraient se transformer, en l’espace de deux ans, en une armée.
Adolf Hitler dans Mein Kampf

Force est de constater qu’en 1938, la sélection allemande a été sacrifiée sur l’autel du totalitarisme et du militarisme nazi, un an avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Les huitièmes de finale voient notamment l’Allemagne affronter la modeste Suisse. Les deux équipes se neutralisent dans un premier temps (1-1) ; le match est alors à rejouer, et la Suisse balaie l’Allemagne sur le score de 4 buts à 2, une Allemagne privée de ses meilleurs éléments, qui réalise sa pire performance lors d’un mondial.

C’est finalement l’Italie qui remporte la Coupe du Monde et conserve assez facilement son titre, alors qu’avec ses meilleurs joueurs, l’Allemagne semblait en mesure de rivaliser avec l’Italie, et surtout que le tableau final aurait permis d’assister à une éventuelle et alléchante finale entre l’Italie et l’Allemagne. L’Histoire en a voulu autrement. Mais la question subsiste : et si l’Allemagne avait disposé de tous ses meilleurs joueurs lors de la Coupe du Monde de 1938 ?

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Hongrie 1958

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le régime communiste hongrois, officiellement proclamé en 1949, s’appuie largement sur le football pour reconstruire un pays portant encore très largement des cicatrices des deux occupations successives de la Wehrmacht allemande, puis de l’Armée Rouge soviétique. Mais très vite, cette politique de reconstruction nationale cède la place à une politique de promotion idéologique du régime communiste, laquelle permet à la Hongrie de disposer de footballeurs de classe mondiale.

Entre 1949 et 1956, la sélection hongroise, entraînée par Gusztáv Sebes, composée de footballeurs exceptionnels, connaît un âge d’or incroyable, grâce à une génération de joueurs extrêmement talentueux, tels que Ferenc Puskás, Zoltán Czibor, Sándor Kocsis, Nándor Hidegkuti, ou encore József Bozsik. Cette équipe, surnommée l’Aranycsapat, « l’équipe en or », qui reste à ce jour l’une des meilleurs équipes de l’histoire du football, impressionne le monde dans les années 50, devenant une vitrine du stalinisme.

Le succès de cette équipe résulta aussi d’un subtil mélange de discipline et de créativité, très typique d’une société stalinienne totalitaire.
Miklós Hadas, professeur à l’Université de Budapest

La légende de cette équipe se fonde sur des performances retentissantes. En 1952,  la Hongrie remporte la médaille d’or  en football aux Jeux Olympiques de Helsinki, au terme d’un parcours impressionnant, qui voit les Magyars éliminer la Roumanie (2-1), l’Italie (3-0), la Turquie (7-1), la Suède (6-0) et enfin, en finale, la Yougoslavie (2-0). Exploits retentissants et performances de haut niveau jalonnent le parcours de cette équipe durant les années 50, qui devient le symbole du prestige et de la puissance du communisme.

Sous le communisme, le football a produit l’équipe en or des années 50, connue dans le monde entier. Je pense que sans l’influence communiste, nous n’aurions pas une histoire footballistique aussi riche et glorieuse.
Gaby Kovács, responsable de Hungarianfootball.com

Lors de la Coupe du Monde de 1954, qui se tient en Suisse du 16 juin au 4 juillet, la Hongrie, grande favorite de la compétition, se hisse facilement en finale, balayant successivement la Corée du Sud (9-0) et la RFA (8-3) en poules, puis le Brésil en quarts de finale (4-2), et l’Uruguay en demi-finales (4-2). La Hongrie s’incline néanmoins en finale, face à la RFA, sur le score de 3 buts à 2, une immense déception pour le football hongrois. Mais cette génération n’en est pas moins exceptionnelle. Ferenc Puskás est ainsi élu meilleur joueur de ce mondial, alors que Sándor Kocsis en finit meilleur buteur, avec 11 réalisations.

L’année 1956 marque un tournant dans l’histoire du football hongrois. Lorsqu’en novembre 1956, les chars soviétiques envahissent la Hongrie et écrasent violemment le mouvement d’insurrection, dit « insurrection de Budapest », porté par le communiste réformateur Imre Nagy, faisant des milliers de morts, la plupart des joueurs  de la sélection hongroise sont à l’Ouest, et disputent un huitième de finale aller-retour de Coupe d’Europe des Clubs Champions opposant le Honvéd Budapest (l’antichambre de la sélection nationale, un club placé sous l’autorité du Ministère de la Défense et  de l’armée) à l’Athletic Bilbao. Lorsqu’ils apprennent la répression dans le sang de l’insurrection de Budapest, les joueurs du Honvéd Budapest décident de ne pas rentrer en Hongrie, et de rester à l’Ouest. L’entrée de l’Armée Rouge dans Budapest en 1956 interrompt brutalement l’ascension de « l’équipe en or », qui perd brusquement ses meilleurs joueurs. Lors de la Coupe du Monde de 1958, qui se déroule en Suède du 8 au 29 juin, la Hongrie n’est plus qu’une équipe moribonde qui ne parvient pas à s’extraire du groupe C, en compagnie de la Suède, du Pays de Galles, et du Mexique ; alors même que les anciens internationaux hongrois, au premier rang desquels figure Ferenc Puskás, font les beaux jours des grands clubs européens. C’est finalement le Brésil qui s’offre le premier sacre de son histoire au terme de la compétition, un sacre que l’ « équipe en or » hongroise, rattrapée par la guerre froide et la main de fer de Moscou, et orpheline de ses grands joueurs, aurait peut-être pu empêcher.

France 1958

L’Équipe de France qui se présente au mondial suédois de 1958 semble armée pour réaliser un excellent parcours. Emmenée par Raymond Kopa, vainqueur de la Coupe d’Europe des Clubs Champions avec le Real Madrid, l’équipe de France s’appuie également sur l’ossature du Stade de Reims qui réalise le doublé coupe-championnat en 1958 ; avec le gardien Dominique Colonna, les milieux de terrain Robert Jonquet et Armand Panverne, et les attaquants Just Fontaine (qui finit meilleur buteur du championnat avec un total impressionant de 34 réalisations), Roger Piantoni, et Jean Vincent. L’affaiblissement du favori hongrois, consécutif au départ de meilleurs joueurs de la sélection, fait de la France un sérieux outsider du mondial suédois. La France toute entière se met alors à rêver d’une première étoile sur le maillot français, faisant ainsi naître une étincelle d’espoir et d’optimisme dans l’Hexagone, dans un contexte agité et douloureux qui voit la Guerre d’Algérie se radicaliser.

Le gouvernement français et le Front de libération national algérien restent campés sur leurs positions et multiplient les opérations militaires, s’enlisant dans un conflit qui semble sans issue et qui déchire la France. Seule la sélection nationale semble constituer un élément d’unité nationale, autant qu’un motif d’espoir de lendemains meilleurs. Mais la Guerre d’Algérie finit par rattraper le football. Un mois avant la Coupe du Monde, les joueurs français d’origine algérienne quittent la sélection française pour rejoindre l’équipe du FLN, une sorte de « onze de l’indépendance », véritable équipe nationale algérienne avant la lettre, bien que non reconnue par les instances internationales du football. Parmi eux se trouvent des joueurs talentueux et prometteurs, tels que le défenseur central cannois Mustapha Zitouni, le milieu de terrain monégasque Abdelaziz Ben Tifour, l’attaquant toulousain Saïd Brahimi, ou encore l’attaquant stéphanois Rachid Mekhloufi. Privée de ses joueurs d’origine algérienne, la France réalise tout de même un parcours honorable.

Éliminée en demi-finale par le Brésil, futur vainqueur de la compétition, la France termine à la 3e place du mondial en étrillant la RFA sur le score de 6 buts à 3. Just Fontaine termine à la première place du classement des buteurs de la Coupe du Monde, avec 13 réalisations. Néanmoins, et lorsque l’on considère certaines performances réalisées par l’équipe du FLN lors de ses matches amicaux (victoires 6-2 contre la Hongrie, 6-1 contre la Yougoslavie, 6-0 contre la Russie), on se demande si la France ne serait pas allée encore plus loin si elle avait joué avec ses joueurs d’origine algérienne. En 1958, beaucoup ont pensé qu’avec Mustapha Zitouni, Abdelaziz Ben Tifour, Saïd Brahimi et Rachid Mekhloufi, les Bleus auraient pu gagner la Coupe du Monde…

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Yougoslavie 1992

Entre la fin des années 80 et le début des années 90, la chute des régimes communistes d’Europe de l’Est entraîne une résurgence des mouvements nationalistes. En Yougoslavie, État fédéral composé de six républiques, à savoir la Serbie, la Croatie, la Slovénie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine et le Monténégro, la multiplicité des ethnies crée une situation complexe, et l’éclatement du pays s’effectue dans la violence. Le football yougoslave n’échappe pas à cette situation tendue et complexe, malgré de bons résultats au début des années 90. Renforcée par Robert Prosinečki,  Zvonimir Boban, Predrag Mijatović, Safet Sušić ou encore Davor Šuker, la Yougoslavie réalise un bon parcours aux éliminatoires de la Coupe du Monde 1990, prenant notamment le dessus sur la France et l’Écosse. Mais les tensions ethniques de plus en plus fortes au sein de la Yougoslavie font planer certaines menaces sur l’avenir de la sélection yougoslave. Le 13 mai 1990, le choc opposant le Dinamo Zagreb à l’Étoile rouge de Belgrade donne lieu à de graves incidents. Zvonimir Boban est suspendu six mois pour avoir frappé un policier, et se voit donc privé de Coupe du monde.

Lors du mondial 1990, qui se tient en Italie du 8 juin au 8 juillet, la Yougoslavie réalise un parcours honorable. Deuxième de sa poule derrière la RFA, futur vainqueur, la Yougoslavie élimine l’Espagne en huitièmes de finale, et s’incline de justesse face à l’Argentine, tenante du titre, en quarts de finale (0-0, 3 tirs au but à 2), après avoir joué à 10 depuis la 31e minute, mais tenu tête à l’Albiceleste et s’être crée de sérieuses occasions d’ouvrir le score. Les Yougoslaves ont même été tout proches de la qualification après que Diego Maradona ait buté sur le portier yougoslave Tomislav Ivković lors de sa tentative, mais le gardien de but argentin Sergio Goycochea, héros de cette séance de tirs au but, parvint à qualifier les siens en stoppant les deux derniers tirs au but yougoslaves.

Malgré cette élimination, la Yougoslavie apparaît bien comme l’une des nations les plus talentueuses du football européen, voire mondial. Le club phare du football yougoslave, l’Étoile Rouge de Belgrade, qui compte parmi ses joueurs de nombreux internationaux yougoslaves (comme par exemple Refik Šabanadžović, Dragan Stojković, Robert Prosinečki, Darko Pančev, Dejan Savićević), remporte la Coupe d’Europe des Clubs Champions et la Coupe intercontinentale en 1991, faisant ainsi espérer une période extrêmement faste pour la sélection yougoslave, qui survole littéralement les éliminatoires de l’Euro 1992, un Euro qu’elle aborde en position de favori. Mais les tensions nationalistes et ethniques à l’intérieur de la Yougoslavie mettent un frein aux ambitions du football yougoslave.

En juin 1991, la Croatie et la Slovénie proclament leur indépendance, privant ainsi la Yougoslavie des ressortissants croates et slovènes. En novembre 1991, le déclenchement d’une guerre de reconquête, menée par Slobodan Milošević et visant à maintenir l’unité yougoslave, fait basculer la Yougoslavie dans une guerre civile qui déchire le pays. Cette guerre civile conduit le Conseil de sécurité des Nations Unies à voter la résolution 757 le 30 mai 1992, une résolution qui instaure un embargo contre la Yougoslavie et l’empêche notamment de participer à toute manifestation sportive. Dix jours avant la compétition, les Yougoslaves sont exclus de l’Euro, qui se tient en Suède du 10 au 26 juin. C’est le Danemark qui est repêché par l’UEFA pour prendre  la place  de la Yougoslavie, et c’est également le Danemark qui remporte l’Euro 1992. Il est difficile de prédire quel aurait pu être le sort de la sélection yougoslave lors de l’Euro 1992, mais si l’on considère les performances de l’Étoile Rouge de Belgrade dans les années 90, ou mêmes celles de la sélection croate, qui atteint les demi-finales du mondial français en 1998, on se demande forcément ce qui se serait passé à l’Euro 1992 si la formidable génération yougoslave, rattrapée par les conflits nationalistes et ethniques du monde l’après-guerre froide, avait pu défendre ses chances.

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