AvideceWopyBalab

Cela pourrait être un article annonçant la mort de Maradona, Cruyff, Pelé, Magico Gonzalez, et j’en passe, alors qu’en réalité c’est pour annoncer le départ physique (comme l’ont annoncé si tendrement les médias vénézuéliens) de quelqu’un qui n’a jamais porté les couleurs d’aucun club professionnel. Ce personnage n’en reste pourtant pas moins un vrai esthète et poète du football (ou plutôt du futbol en version originale), alors qu’il n’est pas reconnu pour son toucher de balle mais plutôt pour son toucher de stylo si j’ose dire.

Cet homme c’est Eduardo Galeano, un Uruguayen ne sachant pas jouer au football (un comble pour un Uruguayen comme il aimait tant le répéter) mais qui pourtant comme tout gamin naissant dans ce tout petit pays double champion du monde rêvait de devenir footballeur. Son manque de talent balle au pied fera le bonheur de quasiment tout un continent puisqu’il est devenu un écrivain incontournable et contestataire et même une icône de l’altermondialisme en Amérique Latine.

Il a entre autres participé au Forum Social Mondial de Porto Alegre en janvier 2003 par exemple. Engagé politiquement il s’est même fait emprisonner en 1973 après le coup d’état militaire mais s’est surtout fait connaître pour son pamphlet anti-impérialiste et anticolonialiste, une espèce de « J’accuse » à l’échelle du continent latino-américain, qui a marqué et inspiré des générations entières de latino-américains, « Les veines ouvertes de l’Amérique Latine » Ed. Pocket. Dans cet ouvrage il y dénonce les pillages généralisés des grandes compagnies américaines ou plus globalement occidentales du 18ème siècle aux années 70. Cet essayiste mais aussi conteur et romancier, mais poète avant tout, s’est dès le début placé du côté des faibles et des plus nécessiteux, ceux qui sont nés avec la malchance de naître pauvres. Mais revenons au football, qui est ce qui nous intéresse ici.

Le football est la chose la plus importante parmi les choses les moins importantes.
Eduardo Galeano

Mais comment se fait-il que quelqu’un de si engagé dans les luttes sociales puisse autant s’intéresser au football ? Il disait que le football était la chose la plus importante parmi les choses les moins importantes. Eduardo Galeano avait souvent des phrases qu’il répétait à l’envi lors de conférences, d’interventions, à la télé (il a même eu une émission à lui de plusieurs épisodes qui s’intitule « Le monde selon Galeano », très intéressante sur divers thématiques) ou à la radio. Il justifiait son amour inconditionnel pour le ballon rond de cette manière à l’occasion du dernier mondial au Brésil: « Le football est l’opium du peuple, ces jours-ci nous sommes drogués de football, quel phénomène impressionnant et fantastique ! » Voilà comment il pouvait expliquer très sincèrement sa passion pour le football et aussi par un lien à l’enfance et aux souvenirs qu’ont pu lui apporter les joueurs qu’il a pu voir jouer au stade.

« Les maternités uruguayennes sont les plus bruyantes du monde »

eduardo-galeano-el-fc3batbol-a-sol-y-sombra-y-otros-escritosIl expliquait la passion qu’ont les Uruguayens pour le football ainsi : « les maternités en Uruguay sont les plus bruyantes du monde car chaque garçon à sa naissance crie GOOOOL ». Mais son œuvre principale autour du football reste son livre sorti en 1995 mais réactualisé à chaque coupe du monde jusqu’en 2002 « Le Football : Ombre et lumière » Ed. Lux, à recommander à chaque passionné de football et pas uniquement du football sud-américain puisqu’il y évoque les tous premiers virtuoses du ballon rond dans les années 10, mais aussi ses origines avec une poésie telle, que l’on pourrait croire que l’on ne parle pas du même sport ultra-télévisé de nos jours, ou ultra-défensif selon certains ou dénué de passion selon d’autres. Il le critique aussi, en y dénonçant la constante mercantilisation de ce magnifique sport qu’est le football. Cet ouvrage résume le football dans toute sa splendeur (en majorité) mais aussi dans tous ses excès.

Une anecdote très forte de sens est racontée dans le livre qu’un grand auteur équatorien, Jorge Enrique Adoum, lui avait relaté. Lors d’un match à Quito dans les années 70, l’écrivain décida d’assister à un match à fort enjeu du championnat local. L’arbitre du match avait perdu sa mère quelques jours auparavant, et tout le stade avait rendu hommage à l’arbitre en respectant la minute de silence dans son intégralité. L’auteur s’étonna de tant de respect pour l’homme en noir pourtant si décrié, voir insulté sur tous les terrains du monde. Le match commença puis à la première action litigieuse sifflée (ou non sifflée) par l’arbitre, tout le stade se mit à crier « Orphelin de pute ! ». Voilà comment il racontait aussi le football. On peut lire de portraits totalement subjectifs et poétiques des grands joueurs de notre temps mais aussi des buts importants racontés à la manière d’un petit conte.

Un hommage national digne d’un triple champion du monde

Eduardo Galeano nous laissera orphelin d’un poète du football qui savait raconter un but comme s’il s’agissait d’un pas de danse de ballet du Bolchoï ou d’une toile de Rembrandt.

Il nous restera toujours quelques auteurs, d’ailleurs pour la plupart hispanophones, pour nous raconter le football tel Juan Villoro et son livre « Dieu est rond » mais le monde perd un vrai poète du football ! Le comble de tout cela est que même sans avoir eu de talent balle au pied, Eduardo Galeano aura reçu un hommage national digne d’un triple voire quadruple champion du monde de foot avec des milliers d’Uruguayens venus lui dire un dernier au revoir à Montevideo.

Et je l’admets, à l’annonce de sa mort, le lundi 13 avril, j’ai versé quelques larmes comme beaucoup d’Uruguayens…

Obseques Galeano Montevideo_0

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