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Berlin, Bucarest, Lisbonne, Madrid… Ces villes ont en commun d’avoir été les capitales de régimes fascistes ou autoritaires au XXe siècle et également d’abriter des clubs de football ayant connu des heures de gloire à cette époque. La question de la coïncidence entre ces deux dimensions doit nécessairement être soulevée. Force est de constater que les succès de ces clubs ont souvent été liés à l’action du pouvoir politique autoritaire à l’encontre soit des capitales, érigées en vitrines des régimes, soit directement à l’encontre des clubs concernés. Dès lors, et pour comprendre la réussite de ces clubs, un retour sur le contexte historico-politique de leur suprématie s’impose.

Le Real Madrid, « le meilleur ambassadeur que l’Espagne ait jamais eu »

Élu meilleur club de football du XXe siècle en 2000, le Real Madrid fait partie de ces clubs dont l’hégémonie a pu être indirectement favorisée par un régime autoritaire. En Espagne, le général Francisco Franco s’empare du pouvoir en 1939, après la victoire de ses partisans nationalistes sur le camp des républicains lors de la guerre d’Espagne (1936 – 1939). Il instaure alors un régime politique dictatorial dont il est le chef suprême, le « Caudillo de España por la Gracia de Dios ». Comme dans tout régime autoritaire, la période du franquisme, en Espagne, est jalonnée par une double priorité pour le Caudillo : asseoir le culte de sa propre personnalité, et faire la démonstration de la puissance de son régime aux yeux de l’Espagne et du monde. Dans cette optique, il est peu surprenant que le football espagnol ait été impacté de manière assez directe par les ambitions abyssales du général victorieux de la guerre civile. Ainsi, dès son arrivée au pouvoir, Franco s’empresse de renommer la Coupe de l’Espagne libre, qui devient la Copa de Sua Eminencia el Generalismo, un trophée qu’il tient à remettre personnellement chaque année au club vainqueur. Mais l’instrumentalisation du football à des fins de propagande par le Caudillo va plus loin. Franco désire en effet s’appuyer sur un club, prééminent à l’échelle nationale et puissant à l’échelle mondiale, un club sans rival qui reflèterait la domination sans partage du Caudillo sur toute forme d’opposition, tout en faisant la démonstration d’une Espagne prestigieuse et conquérante à la face du monde. Dans un premier temps, c’est l’Athletic Aviación de Madrid, ancêtre de l’Atlético Madrid, qui semble en mesure de jouer ce rôle et de recevoir les faveurs du Caudillo : les Colchoneros, composés notamment de membres de l’aviation civile espagnole victorieux de la guerre, remportent le championnat d’Espagne en 1939 et 1940. Mais dans les années qui suivent, l’Atlético Madrid décline, et recule face à la montée en puissance du FC Barcelone et du Real Madrid. Face aux velléités séparatistes des Catalans, c’est sur le club merengue que Franco jette son dévolu, lui qui rêve d’une Espagne jacobine, centralisée et unie autour de sa capitale, Madrid. Franco s’emploie ainsi à faire de Madrid la vitrine de son régime, en concentrant énormément de ressources nationales vers la capitale. De surcroît, le Caudillo favorise l’élargissement de l’aire urbaine madrilène entre 1948 et 1954 ; et encourage la modernisation des infrastructures de la capitale, et notamment la construction du Nuevo Estadio de Chamartín, enceinte de 75 000 places inaugurée le 14 décembre 1947, et qui prendra le nom d’Estadio Santiago Bernabéu en 1955.

Visuel : AP/Topfoto

Ces années correspondent à une période extrêmement faste pour le Real Madrid, qui remporte notamment le titre de champion d’Espagne en 1954, 1955, 1957, 1958 ; et qui rafle aussi les 5 premières éditions de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, en 1956, 1957, 1958, 1959, et 1960. Par le football, Madrid fait la démonstration de son hégémonie sur l’Espagne et l’Europe, des résultats qui ne peuvent que réjouir le Caudillo, lequel est indirectement à l’origine de cette réussite patente et éclatante. Franco n’a jamais été un passionné de football, mais comprenait parfaitement qu’il pouvait lier sa côte de popularité à celle du Real Madrid, véritable club phare de l’époque, qui devient le club favori du général Franco. Dans son ouvrage When Beckham went to Spain (2004), Jimmy Burns raconte une anecdote amusante selon laquelle Franco prenait un transistor avec lui lors de ses parties de chasse pour écouter les matches de la Casa Blanca. Il était profondément convaincu que les multiples du succès du Real Madrid pouvaient le servir personnellement. Ministre des Affaires étrangères entre 1957 et 1969, Fernando María Castiella avait pour coutume d’appeler le Real Madrid « le meilleur ambassadeur que l’Espagne ait jamais eu ». Il est important de souligner que le soutien de Franco au Real Madrid a toujours été indirect : le club merengue a surtout bénéficié de la volonté du Caudillo de faire de la capitale espagnole la vitrine nationale et internationale de la puissance de son régime ; devenant, malgré lui, un outil de propagande du régime autoritaire franquiste. Cependant, il existe tout de même une rumeur, largement alimentée par les Catalans, selon laquelle l’attaquant Alfredo Di Stafano, prêt à s’engager avec le FC Barcelone, aurait finalement choisi le Real Madrid sous la pression de Franco, qui aurait tout fait pour que le buteur d’origine argentine rejoigne la capitale espagnole.

Le Benfica Lisbonne, l’un des instruments de l’appareil de propagande salazariste

Cet avènement du club de football de la capitale découlant de l’action d’un chef tout puissant placé à la tête d’un régime autoritaire a pu se retrouver, dans une moindre mesure, au Portugal avec le Benfica Lisbonne durant l’Estado Novo, qui désigne la période autoritaire (1933 – 1974) inspirée et dirigée par António de Oliveira Salazar. Il convient d’affirmer d’emblée que Salazar n’était pas particulièrement passionné par le football, pas plus qu’il n’était supporter du Benfica Lisbonne, dont il exécrait d’ailleurs les couleurs rouges, en raison de sa haine du communisme. Mais force est de constater que Salazar a indirectement favorisé l’apogée du club lisboète. Le dirigeant autoritaire portugais, tout comme Franco, a lui aussi voulu faire de Lisbonne la vitrine de son régime en dirigeant énormément de ressources du pays vers la capitale portugaise, rendant ainsi la ville prestigieuse et attractive. Lisbonne est notamment choisie en 1940 pour accueillir l’Exposition du Monde Portugais, véritable liturgie à la gloire de l’Estado Novo orchestrée par la propagande salazariste. L’attractivité de la ville de Lisbonne durant le régime de Salazar touche également le football, avec l’inauguration de l’Estádio da Luz en 1954. En outre, la volonté de Salazar de garder la mainmise sur les colonies portugaises en Afrique ont favorisé la venue à Lisbonne de joueurs extrêmement talentueux, comme José Aguas, originaire de l’Angola, ou encore Mário Coluna et Eusébio, tous deux originaires du Mozambique. Alors qu’historiquement, le FC Porto est la place forte du football portugais, tous ces facteurs, intrinsèques au régime autoritaire de Salazar, favorisent l’éclosion du Benfica Lisbonne, qui est le club ayant remporté le plus de titres durant la période de l’Estado Novo.

En 1961 et 1962, le club lisboète se hisse même sur le toit de l’Europe en remportant la Coupe d’Europe des Clubs Champions, triomphant de deux des clubs les plus importants de l’époque : le FC Barcelone (3-2), puis le Real Madrid (5-3). Le Benfica Lisbonne atteint même la finale de l’édition suivante, mais s’incline face au Milan AC sur le score de 2-1. Force est de constater que le club de Benfica devient alors l’un des instruments de l’appareil de propagande salazariste, au point de pousser Salazar à entraver le transfert quasiment acté d’Eusébio vers la Juventus de Turin en 1962. C’est en ces termes que le ballon d’or 1965 raconte ce qui a probablement été un tournant dans sa carrière :

« C’était un homme très intelligent. Au moment où la Juve voulait me recruter, il m’a tout simplement envoyé faire mon service militaire. Comme ça, si j’avais quitté le pays, j’aurais été déclaré déserteur et j’aurais été interdit de jouer au football, que ce soit à l’étranger ou en équipe nationale. Voilà, à cause de ça, je fais partie de ces joueurs qui n’ont pas eu l’opportunité d’évoluer dans un grand championnat étranger ».

Ainsi, Madrid et Lisbonne, capitales de deux régimes autoritaires et fascistes au XXe siècle, ont vu leurs équipes de football connaître des heures extrêmement glorieuses à la faveur de la politique autoritaire de prestige national menée par les dictateurs des deux pays ibériques. Simon Kuper et Stefan Szymanski, dans leur ouvrage Les attaquants les plus chers ne sont pas ceux qui marquent le plus : Et autres mystères du football décryptés (2012), mettent cet aspect en avant : « Sur les onze premières Coupes d’Europe, huit ont été remportées par le Real Madrid (le club favori du général Franco) ou le Benfica (club de Lisbonne, la capitale du dictateur Salazar) ».

Le Dynamo Berlin, une parfaite incarnation de la symbiose entre le football et la politique

Si les succès éclatants du Real Madrid et du Benfica Lisbonne ont notamment été le corollaire indirect des politiques menées par Franco et Salazar, il existe des cas où les réussites de certains clubs ont été directement engendrées par les pouvoirs autoritaires en place, lesquels ont tout fait, ou presque, pour favoriser certains clubs. Ces cas marquent parfois de nettes intrusions de la politique dans le football.

Historiquement, c’est dans les pays du bloc communiste, à l’Est du « rideau de fer », que ces intrusions de la politique dans le football ont été les plus spectaculaires. Simon Kuper et Stefan Szymanski soulignent que « Le même phénomène que pour les capitales fascistes […] était à l’œuvre dans les pays communistes : les dictateurs dirigent généralement les ressources de tout le pays vers la capitale, car c’est l’endroit où ils vivent avec les bureaucrates, les soldats et la police secrète. Ils érigent de grands bâtiments, stimulent l’économie locale et viennent en aide au club de football de la ville. C’est ce que l’on appelle le football totalitaire ». Ce phénomène de football totalitaire se trouve illustré de manière extrêmement concrète en République démocratique allemande (RDA) et sa capitale, Berlin-Est. Face à la rivalité géographique du « chancre capitaliste » incarné par Berlin-Ouest, les autorités administratives communistes de Berlin-Est s’emploient à faire de la capitale est allemande une luxueuse vitrine du communisme en injectant des centaines de millions de marks dans la construction et le développement d’infrastructures. Mais la promotion de l’idéologie et du régime communistes passe également par le sport, et par le football. En 1953 est fondé le SC Dynamo Berlin, l’association sportive des ministères de l’Intérieur et de la Sécurité du régime communiste est-allemand. La section football de ce club omnisports est détachée en 1966 et prend le nom de BFC Dynamo Berlin, avec à sa tête Erich Mielke, ministre de la Sécurité d’État jusqu’à la chute du Mur de Berlin en 1989.

Protégé par la Stasi et directement financé par le Parti communiste, le Dynamo Berlin est programmé pour être le club incarnant la suprématie des valeurs communistes, ainsi que la prééminence de la capitale est-allemande. Le Dynamo Berlin doit être le meilleur club, il ne peut en être autrement. De surcroît, Erich Mielke, contrairement à d’autres hommes d’État de régimes autoritaires du XXe siècle, était un supporter acharné du Dynamo Berlin, et a usé de son influence pour faire venir tous les meilleurs joueurs de RDA au Dynamo Berlin, comme par exemple le défenseur Rainer Troppa (en provenance du FC Energie Cottbus), ou le milieu de terrain Reinhard Lauck (en provenance du FC Union Berlin). À la lumière de tous ces facteurs, il devient aisé de comprendre l’outrageante domination du Dynamo Berlin sur le football est-allemand. Le club de la capitale est ainsi le club le plus titré de cette époque, alignant notamment 10 victoires consécutives en championnat de 1979 à 1988. Mais ces succès n’auraient pas été toujours obtenus de manière très honnête : Erich Mielke n’hésitait pas à mettre la pression sur le corps arbitral, et beaucoup de matches du Dynamo Berlin se sont conclus sur une victoire des joueurs de la capitale grâce à un pénalty obtenu dans les ultimes secondes. Le Dynamo Berlin et son règne sans partage sur le football est-allemand sont une parfaite incarnation de ce que peut produire la symbiose entre le football et la politique.

Le Budapest Honvéd FC, l’antichambre de la sélection nationale

D’autre cas, comme celui du Budapest Honvéd FC, en Hongrie, peuvent être cités. Il est important de souligner que la Hongrie est un des cas les plus paroxystiques de promotion de l’idéologie communiste par le football. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le régime communiste, officiellement proclamé en 1949, s’appuie largement sur le football pour reconstruire un pays portant encore très largement des cicatrices des deux occupations successives de la Wehrmacht allemande, puis de l’Armée Rouge soviétique. Mais très vite, cette politique de reconstruction nationale cède la place à une politique de promotion idéologique du régime communiste, laquelle permet à la Hongrie de disposer de footballeurs de classe mondiale. En 1949, le Ministère de la Défense et l’Armée hongroise placent sous leur tutelle le Kispest, club de football de Budapest, et le renomment « Honvéd », ce qui signifie « défenseur de la patrie ».

Les membres du Ministère de la Défense et l’Armée affichent leur volonté de faire du club de la capitale hongroise la place forte du football national, en attirant notamment les meilleurs du championnat hongrois en échange d’un grade d’officier dans l’armée sans passer par la case du service militaire. C’est ainsi que les dirigeants du Honvéd réussissent à enrôler l’attaquant Sándor Kocsis, l’ailier Zoltán Czibor, ou encore le gardien de but Gyula Grosics. Le Honvéd Budapest devient ainsi l’antichambre de la sélection nationale, la fameuse et réputée Aranycsapat, « l’équipe en or », qui aligne les prestations de haut niveau dans les années 50, et reste à ce jour l’une des meilleures équipes de l’histoire du football. Dans les années 50, l’ascension du Honvéd Budapest est patente. Les Mighty Magyars remportent les championnats de 1950, 1952, 1954 et 1955 ; mais la montée en puissance du club de la capitale hongroise est interrompue par la sanglante répression de l’insurrection de Budapest en 1956, une année qui marque un tournant dans l’histoire du football hongrois.

Le FC Steaua Bucarest, club créé par le Ministère de la Défense roumain

Au sein du bloc soviétique, d’autres hégémonies ont été bien plus pérennes, telles que celle du FC Steaua Bucarest en Roumanie, un club créé par le Ministère de la Défense en 1947. Le Steaua Bucarest est ainsi le club le plus titré de la période soviétique. En plus d’être placé sous l’autorité du Ministère de la Défense, le club de la capitale hongroise peut également compter sur le soutien, dans l’ombre, de Valentin Ceaușescu, fils du dictateur Nicolae Ceaușescu, à partir des années 80. Valentin Ceaușescu se voulait le protecteur du club roumain, et particulièrement des joueurs, dont il était très proche.

L’attaquant du Steaua Bucarest Marius Lăcătuș affirme ainsi : « Pour nous, Monsieur Valentin était comme un grand frère, qui essayait toujours de nous aider dans nos problèmes. Un homme extraordinaire, toujours auprès de l’équipe. » En plus d’être proche du club, Valentin Ceaușescu y fait également venir les meilleurs joueurs du pays, participant directement à la construction d’une équipe qui, en plus de sa suprématie nationale, atteint les sommets européens en 1986 en remportant la Coupe d’Europe des Clubs Champions au Stade Sánchez Pizjuán, à Séville, devant 70 000 spectateurs, face au FC Barcelone, au terme d’une finale dont le héros est sans conteste Helmuth Duckadam. Au cours de la séance de tirs au but qui doit départager les deux équipes, le gardien de but du club bucarestois s’illustre comme jamais un gardien ne l’avait fait avant lui dans l’histoire des compétitions européennes : un premier plongeon à droite pour détourner le tir de José Ramón Alexanko, un deuxième plongeon à droite pour repousser la tentative d’Ángel Pedraza, un troisième plongeon à droite pour arrêter le tir de Pichi Alonso, et enfin un dernier plongeon sur la gauche pour stopper le tir de Marcos Alonso : Helmuth Duckadam écœure les quatre premiers tireurs barcelonais et offre sa première Coupe d’Europe des Clubs Champions au Steaua Bucarest (0-0 ; 2 tirs au but à 0).

Globalement, l’appareil politique communiste hongrois n’a jamais ouvertement favorisé le Steaua Bucarest, à une exception près : la finale de la Coupe de Roumanie en 1988. Cette finale fratricide oppose le Steaua Bucarest au Dinamo Bucarest pour la troisième année consécutive au Stadionul Național de Bucarest, sous les yeux de la famille Ceaușescu. Dans une rencontre extrêmement serrée, c’est le Steaua Bucarest qui ouvre le score à la 27e minute par l’intermédiaire de son attaquant Marius Lăcătuş, mais Florin Răducioiu, entré en jeu à la 82e minute, égalise 5 minutes plus tard pour le Dinamo. La suite de la rencontre est bien plus confuse. Alors que l’on semble se diriger vers la prolongation, Gavril Balint, entré en jeu à la 52e minute, marque le deuxième but du Steaua dans le temps additionnel. Le numéro 14 du Steaua croit ainsi offrir le trophée à son équipe, mais le but est logiquement refusé par l’arbitre Radu Petrescu, pour une position de hors-jeu tout à fait justifiée. Cette décision arbitrale provoque la fureur de Valentin Ceaușescu, et remonte jusqu’au bureau de Nicolae Ceaușescu, à tel point que le dirigeant autoritaire roumain décide unilatéralement d’attribuer la victoire au Steaua Bucarest sur le score de 2-1. Jamais un dirigeant autoritaire n’aura autant directement influé sur l’issue d’un match.

L’AS Roma, club créé pour restaurer le prestige romain d’antan

Dans certains cas, bien moins spectaculaires, les rapports entre régimes autoritaires en place et clubs de football de la capitale n’ont pas été de l’ordre de l’intrusion, mais plutôt de l’incursion. Pour le pouvoir en place, l’enjeu n’était pas forcément d’assurer des décennies de suprématie au club de la capitale, mais de faire en sorte que la grandeur qu’ils désiraient pour leur régime soit reflétée par la grandeur de sa capitale, et immanquablement, de son club de football. C’est cette logique qui a manifestement été à l’œuvre au sein de l’Italie fasciste, où Benito Mussolini s’empare du pouvoir en 1922. Le Duce rêve de créer une grande Italie, en rassemblant toutes les régions italiennes autour de sa capitale, Rome. Mussolini se sert ainsi du football pour créer un puissant sentiment national italien, mais également pour, symboliquement, tenter de restaurer le prestige romain d’antan. Le Duce est ainsi à l’origine de la fondation de l’AS Roma en 1927, par la fusion de quatre clubs romains : Alba Audace, Fortitudo, Pro Roma, et Roman FC. S’il a toujours privilégié les succès de la sélection nationale italienne, Mussolini aurait, selon certaines rumeurs, aidé le club de la louve à remporter son premier titre de champion en 1942.

Le Duce aurait eu envie de reproduire le mythe de l’Empire romain, une époque où Rome était la plus grosse puissance du monde. Pour remettre au goût du jour cette Rome impériale, Mussolini aurait décidé d’appliquer le mythe au football et, ainsi, de donner un coup de pouce à la Roma pour qu’elle remporte le Scudetto de 1942. À ce propos, Mario Soldati, écrivain italien, tient les propos suivants : « Mussolini savait que la guerre allait mener l’Italie à sa perte. D’où son idée de raviver dans les mémoires l’image d’une Italie puissante, comme elle l’était à l’époque de l’Empire romain, pour créer une sorte d’union sacrée autour de lui ». Cette rumeur n’a toutefois jamais été prouvée.

Le Panathinaïkos, un pilier fort pour l’union du pays

L’idée de « coup de pouce » apporté à un club par des dirigeants autoritaires en quête de restauration d’une gloire passée peut se retrouver en Grèce, à l’époque de la brève dictature des colonels (1967 – 1974). En 1967, profitant de l’instabilité de la vie politique grecque, Geórgios Papadópoulos, placé à la tête d’une junte militaire réduite, s’empare du pouvoir par la force le 21 avril 1967. Le dictateur grec entend mettre en place un régime ultranationaliste et ultraréactionnaire exaltant le glorieux passé antique. Il s’agit de renouer avec un passé prestigieux, en ranimant la gloire, la puissance et le rayonnement passés grecs. Cela ne peut que passer par une attention toute particulière portée à la ville d’Athènes, berceau de la civilisation occidentale, et le football peut pleinement participer à cette résurrection du prestige athénien hérité de la période antique. Dans l’après-guerre, le club le plus important du football grec est le Panathinaïkos Athènes, qui domine le football national. Le club athénien remporte ainsi les championnats de 1949, 1953, 1960, 1961, 1962, 1964, 1965, 1969 et 1970. Mais le Panathinaïkos, pas plus que les autres clubs grecs, n’a jamais brillé sur la scène continentale comme Athènes rayonnait dans le monde à sa grande époque. Le football grec est totalement méconnu en Europe. Le régime dictatorial grec veut s’appuyer sur le football pour faire la démonstration de la puissance grecque, mais également pour cimenter un pays extrêmement divisé autour de la capitale athénienne et des performances de son équipe de football.

Cela la forme d’un soutien financier accordé au Panathinaïkos à partir de la fin des années 1960 ; et ce soutien permet au club athénien de recruter le buteur grec Antónis Antoniádis en 1968, puis d’enrôler Ferenc Puskás au poste d’entraîneur en 1970. Lors de la saison 1970-71, le « Pana » est qualifié pour la Coupe d’Europe des Clubs Champions. Une prime extrêmement importante est promise à Puskás en cas de qualification pour la finale, une gageure que les joueurs athéniens parviennent pourtant à réaliser, après avoir balayé l’AS Jeunesse d’Esch (2-1 ; 5-0), dominé le SK Slovan Bratislava (3-0 ; 1-2), éliminé Everton FC (1-1 ; 0-0), et effectué une vaillante remontada face à l’Étoile rouge de Belgrade (1-4, 3-0). Les Athéniens finissent par s’incliner en finale sur le score de 2-0 face à l’Ajax Amsterdam de Johan Cruyff ; mais le Panathinaïkos offre tout de même sa première finale de Coupe d’Europe au football grec (la seule à ce jour), et Antónis Antoniádis termine meilleur buteur de la compétition, avec un total de 10 réalisations. Le parcours du Panathinaïkos vient ainsi nourrir la politique autoritaire de prestige national et nationaliste de la dictature des colonels, rappelant ainsi que durant « le court XXe siècle » (selon l’expression de l’historien britannique Eric Hobsbawm), autoritarisme et football ont été inextricablement liés, un aspect qui, aujourd’hui, rend le football et l’histoire totalement indissociables l’un de l’autre.