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La puissance et l’attrait du sport résident dans deux éléments : sa capacité à générer de l’incertitude quant au résultat final d’une confrontation, voire d’une compétition ; et sa dimension spectaculaire, mettant en exergue les prouesses et les performances des athlètes. Ces deux caractéristiques propulsent le spectateur dans un registre transcendant : celui de l’émotion, clé de la popularité et de l’enchantement du sport.

La faculté à faire naître chez l’individu de la colère, de l’anxiété, de l’impatience ou encore de l’exaltation est une composante majeure du sport et justifie le rôle majeur capital ou prépondérant ou primordial que celui-ci joue dans notre quotidien, à l’instar de la culture.

Au même titre que l’entité supporté, le « méchant », celui qu’on adore détester, joue un rôle essentiel dans le football parce qu’il joue, injustement, avec nos émotions. Sa naissance n’est pas un événement incertain mais bel et bien une construction mentale qui contribue au rayonnement du foot.

Pourquoi haït-on dans le football ?

L’impression laissée par les équipes/joueurs détesté(e)s semble être d’ordre naturel, Or, ce rejet, que beaucoup suppose instinctif, naît d’une construction mentale. Les « méchants » méritent leur dénomination parce qu’ils « frustrent » le spectateur. La colère suscitée par une équipe n’éclot pas au hasard, elle est intimement liée à une frustration générée par la naissance d’une inégalité dans le jeu et par un « non-respect des règles ». Il s’agit, en fait, de la remise en cause, des deux éléments fondateurs du sport évoqués précédemment : l’incertitude et le spectacle. Le fait est que l’on va considérer les « bad guys » comme étant à l’origine d’un déséquilibre dans le rapport de force. Celui-ci peut être perçu par deux prismes :

  • L’éthique. D’un point de vue subjectif et « moral », d’aucuns vont appréhender les actes d’une équipe comme « répréhensibles ». Il n’est ici, pas question de transgression de règlement mais d’attenter à l’égalité des chances. L’impression générale est que l’équipe adverse ne préserve pas le caractère incertain d’une rencontre ou d’un championnat en déséquilibrant la compétition. Si Jean-Michel Aulas joue à l’ingénu face à la côte de désamour de l’Olympique Lyonnais en France, peut-être devrait il s’interroger sur les stigmates laissés par les 7 titres consécutifs remportés par son équipe dans les années 2000 et par certaines méthodes (entre autres, le siphonnage en règle des meilleurs joueurs des autres clubs français pendant près d’une décennie) ? Aussi, la sensation même de se « faire avoir », alors même que l’adversaire respecte les règles, amplifie cette animosité et la sensation d’injustice, à l’image des joueurs de football n’hésitant pas à accentuer certaines fautes subies… Quelqu’un a mentionné Marco Materazzi ?
  • Le règlement. Si bon nombre de personnalités et d’équipes sont  copieusement conspuées, c’est tout simplement parce qu’elles adoptent un comportement « border-line » souvent assimilé à de la triche. Ainsi, on se surprend à détester une équipe rugueuse, vicieuse ou des joueurs brutaux parce que l’on considère qu’ils ne jouent pas « selon les règles ». Comme peuvent-ils se permettre de transgresser le règlement alors que l’immense majorité s’évertue à le respecter ? Cette haine féroce a permis à certaines équipes de s’octroyer le statut de légendes comme le « Crazy Gang » de Wimbledon en Premier League.

Voila les raisons pour lesquelles on en vient à détester certains membres de la communauté sportive. Chelsea, tout récemment élu « Club de Football le plus détesté d’Angleterre », symbolise en tout point les deux critères éthiques (les investissements d’Abramovich, les déclarations de Mourinho) et réglementaires (les attitudes de Diego Costa).

Pourquoi est-ce si important pour le football ?

Comme nous l’avons évoqué, l’émotion joue un rôle prépondérant dans la popularité du sport. Habituellement, elle est procurée au cours des rencontres par des faits de jeu et les comportements des protagonistes. Or, le fait de susciter une émotion permanente dans l’attente d’un match, durant son déroulement et pendant son débriefing amplifie largement la notoriété du « méchant ». Sa présence oblige les gens à faire un choix : ils sont pour ou contre, mais ils ne peuvent demeurer émotionnellement neutres. Le spectateur va devoir trancher : se situer et s’engager dans un processus de défense ou de soutien. Mieux encore, à l’occasion d’une rencontre entre cet adversaire et l’entité supportée (joueur, club…), la tension est à son comble.

C’est toute la magie et l’importance de ce rôle, l’émotion est amplifiée… Dans les faits, la naissance de ces supers vilains constituent une aubaine pour le sport business. Pour prendre un exemple issu d’un autre sport : la confrontation entre OKC et Golden State, constituant le retour du « traître » Kévin Durant sur son ancien parquet, a suscité un grand intérêt : la NBA a réalisé, durant cette rencontre, sa meilleure audience TV pour un match de saison régulière depuis 2013. Un autre exemple issu des US (rien d’étonnant, les ligues américaines ayant toujours favorisé l’émergence de ces storytelling) : au Baseball, les New York Yankees des années 90/2000 étaient considérés comme une super-team et détestés par une large partie des supporters. Résultat : 3 des 5 Worlds Series (finale du championnat) les plus vues depuis 1991 concernaient cette équipe.

L’émotion ressentie par l’apparition de ces « méchants » peut être tout aussi profonde que celle émanant des « rencontres classiques » ou des « derbys ». La distinction entre ses deux éléments se justifient par leurs origines : si les premiers attentent à l’équité sportive, les rivalités sont, quant à elles, le fruit d’une longue gestation sous tendue par des dissonances éthiques, culturelles, politiques ou géographiques. Pour autant, les répercussions sont les mêmes. Les oppositions entre Real et Barcelone, l’Inter et le Milan, constituent des moments de tension extrême car ils catalysent, au mieux, les émotions de milliers de supporters désireux de voir leur équipe/joueur triompher de leur rival, au pire, l’intérêt du spectateur lambda, conscient de la tension dramatique de l’événement. L’ampleur prise par une rencontre peut devenir vertigineuse, dés lors que s’entrechoquent rivalité et attitude déloyale. La sortie d’Harald Schumacher lors de la demi finale de Coupe du Monde 1982 en est le symbole: la match, déjà tendu par le contexte historique, prend une tournure épique et demeure, à ce jour, l’un des stigmates les plus sensibles du sport français, après l’agression sur Battiston. L’effet de cette dernière est, par ailleurs décuplé: en plus de blesser gravement le joueur, elle engendre une erreur manifeste d’arbitrage (penalty? exclusion?) qui renforce le sentiment d’injustice des français, finalement défaits après un scénario dantesque…