AvideceWopyBalab

La pullulation d’émissions a favorisé l’émergence d’une caste d’humanoïdes au clapet béant et au crachoir insatiable. Cette nouvelle race, authentifiée par les plus brillants ethnologues, porte un nom : les « consultants ».

Majoritairement de genre masculin dans le sport, le consultant se nourrit principalement de mauvaise foi, de frustration, accumulée durant une carrière souvent décevante, et d’une rancune intarissable. La saveur de de leurs tempétueuses interventions tient plus à l’absurdité de leur posture qu’à la finesse de leurs analyses : oserais-je moi, tintin d’opérette, atome de scribouillard, jeter l’opprobre sur un brillant reporter ? Gageons que si ces charmants analystes avaient réussi leur carrière, s’ils n’avaient pas été honnis par leurs pairs ou si le public avait daigné les comprendre, nous ne les retrouverions pas à déverser leur fiel sur RMC ou Bein Sport. Alors laissons-nous le droit de rêver : et si l’histoire avait été différente ?

Des vagues rouges et blanches assaillent le navire portugais. Ballotée par des estocades intempestives, la flotte bleue et blanche résiste tant bien que mal. L’équipage écope mais le frêle esquif prend l’eau de tout part. Troué à tribord par une ultime banderille, le vaisseau lusitanien du Capitaine Mourinho rend les armes. L’auteur de l’abordage final ? Un caennais inconnu au bataillon, aux faux airs de David Beckham version Campanile : Jérôme Rothen.

Pour être plus précis, c’est le pied gauche de l’artilleur qu’il faut incriminer dans la débâcle portugaise. Deux passes décisives pour Prso puis Giuly ont permis de faire vaciller le FC Porto. Et pour finir un ultime coup franc de Rothen l’a achevé, portant l’AS Monaco au sommet du football européen. Morientes, Deschamps et sa bande sont désormais à jamais les seconds. Au sommet du bus impérial, le Graal européen est exhibé dans les rues clairsemées d’une principauté, où seuls quelques touristes russes lassés de la roulette sont venus déambuler. Alors que toute l’équipe exulte sur le toit de l’autocar, Jérôme, grincheux émérite, traine déjà sa mine de bouledogue refrognée des mauvais jours. Assis à côté du chauffeur, il s’insurge de ne pas avoir de moment de célébration privilégié après avoir été élu homme du match lors de la fameuse finale. C’est décidé, à la fin de la saison, il partira rejoindre l’un des cadors européens… Et tant pis pour son club de cœur, le PSG. Les sourcils froncés, toujours.

Mais avant de s’envoler pour d’autres cieux, il est sélectionné pour l’Euro 2004 par Raymond Domenech. L’équipe de France lave l’affront de la Coupe du Monde 2002 en se hissant en demi-finale, emmenée par un duo Evra-Rothen « on fire », aussi actif sur le terrain que sur les réseaux sociaux. Aux balbutiements de Youtube, la doublette fait des ravages avec des petites scénettes filmées dans leur chambre d’hôtel. Enchaînant les déclarations égo-trippés faisant languir le jeune Zlatan, « Pat & Jéjé » deviennent de véritables coqueluches du net. Alors que Pat estime avoir « deux Roberto Carlos dans chaque ongle de chaque orteil de chaque pied de chaque jambe », Jérôme s’estime heureux de jouer avec Zizou, un « joueur qui tient enfin la comparaison techniquement ». Alors que la vente de maillots des nouveaux Frère Taloche explose, la FFF s’interdit à tout commentaire. En quelques semaines, la nouvelle célébrité de « Patoche et Jéjé » est consacrée par la création de leur avatar chez les Guignols. S’en est trop pour les deux humoristes en herbe. C’est décidé, à la fin de l’été, ils partiront s’exiler outre-manche, abandonnant Monaco et l’Équipe de France… Et tant pis pour les primes de sélection. Les sourcils froncés, toujours.

C’est donc à Manchester United que Jérôme Rothen décide de poser ses valises. Sir Alex Ferguson se frotte les mains, il va pouvoir associer Jérôme à David Beckham, de retour après une saison au Real de Madrid. Pour l’écossais, la concurrence et la rivalité entre les deux hommes, parfaits Némésis, ne feront que renforcer son effectif. La comparaison par l’absurde se tient : l’un est droitier, l’autre gaucher ; l’un est gaulé comme un dieu grec, l’autre comme un serpent ; l’un à une tronche de Don Juan, l’autre la coupe de David Charvet version Alerte à Malibu avec un facies découpé à la serpe façon Lino Ventura. Leur association type Docteur Jeckyll/Mister Hide fait les choux gras de la presse mancunienne et porte le club au sommet de la Premier League. Les disputes des deux hommes lors des coups francs et des corners donnent lieu à des vidéos de bêtisiers qui s’écoulent à travers le monde entier, n’agaçant que Patrice Evra, qui ne goute que moyennement à l’infidélité de son camarade troupier. En bref, c’est une saison banco pour Jérôme avec 20 assists, toutes sur coup de pied arrêtés… Et qui célèbre chacune d’entre elles en se retournant face à son kop dans une position christique, bras en croix… et les sourcils froncés, toujours.

L’attitude provocatrice parsemée d’un brin de nonchalance de Jérôme, lui vaut l’évidente comparaison avec Éric Cantona, dont il reprend le numéro 7. 7 c’est aussi le nombre de saisons qu’il passe à UTD, accumulant titres, kilos et passes décisives d’un fouetté du gauche. Énigme quant à sa faculté à jouer au plus haut niveau professionnel en raison d’une absence totale de capacité physique, Jérôme s’agace des critiques à l’encontre de sa pointe de vitesse et menace de prendre sa retraite. Humilié dans la presse après avoir été battu par Sir Alex sur un fractionné lors de la préparation pour la saison 2010/2011 – Jérôme décide de joindre l’acte à la parole. C’est décidé, il abandonne le football, Manchester United et ses millions de pounds. Assez de cette ingrate Angleterre. Et tant pis pour David Beckham, qui lui a tout volé, il part comme un prince… et les sourcils froncés, toujours.

Grâce à son statut hybride de comique-sportif, la carrière de Jérôme prend un nouveau tournant quant qu’il décide de répondre enfin favorablement aux sollicitations des publicistes. Pour se faire, il décide de s’appuyer sur son second plus bel atout, après son pied gauche : sa crinière dorée, dont les mèches décolorées, encore plus travaillées que ses coup-francs, lui permettent de signer chez Petrol Hahn.  Le voilà en tournage. Moteur, action… Après s’être négligemment recoiffé, il pointe son menton canaille vers l’objectif… Son regard azuré transperce la caméra… Quelle impertinence ! Quel culot ! L’orgueil et la bravoure mêlés en deux iris incandescents. James Dean et Alain Delon dans chaque pupille. S’en est trop pour les midinettes de l’équipe technique. Personne ne résiste à l’envie de venir shampooiner la couenne de cette petite fripouille de Jérôme. Poursuivi par une horde de techniciennes ensorcelées, il se barricade dans sa loge. Malgré un retour au calme et un tournage réussi, Jérôme décide de tourner le dos au monde de la pub. C’est décidé, il abandonne le marketing et ses millions d’euros. Et tant pis pour les litres de shampooing gratuit. Il rompt son contrat et part la tête haute… et les sourcils froncés, toujours.

Harassé de cette incompréhension chronique, Jérôme décide alors de faire amende honorable en faisant le sacrifice ultime. « Pour le bien de l’humanité et afin de préserver le patrimoine de l’espèce humaine », Jérôme propose à l’UNESCO de classer son pied gauche parmi les 12 merveilles du monde. Une opération chirurgicale est déjà programmée, et Jérôme, à la suite d’une conférence de presse lunaire, espère que « le monde comprendra un jour le geste de Jérome Rothen ». Plus embarrassée qu’autre chose, l’UNESCO refuse instantanément la proposition « bien trop généreuse de la part d’un esthète en avance sur son temps».

Cette fois, et pour de bon, c’est décidé, il abandonne cette pieuse initiative et « puisqu’on ne prête qu’aux siens », il décide de faire littéralement don de son corps et de sa personne à son club formateur, le Stade Malherbe de Caen. Et tant pis pour le malaise que cette proposition suscite, le président caennais accède à sa requête. Embaumé tel un Pharaon du Grand Est, la dépouille de Jérôme Rothen est désormais exposée au Stade d’Ornano… Les sourcils froncés, toujours.