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Dans sa biographie Arsène Wenger, 20 ans dans les coulisses d’Arsenal (Talent Sport), le journaliste John Cross raconte la grandeur et la décadence du coach français.

Qui l’eut cru il y a vingt ans qu’un inconnu débarquant en Angleterre, écoeuré des affaires (VA-OM) du foot français et passé par le Japon, deviendrait le coach emblématique d’un club très traditionnel, au style de jeu ennuyant et miné par ses querelles de vestiaire… Et pourtant, grâce à sa rencontre avec David Dein (vice-président), Arsène Wenger est devenu le boss d’Arsenal en 1996. L’Alsacien a apporté des méthodes d’entraînement, plus ludiques, avec plus de travail, un régime alimentaire plus strict (moins de ketchup et d’alcool…) ou encore la responsabilisation des joueurs en les poussant à se réunir régulièrement… Contrairement à sa réputation sur le marché des transferts ces dernières années, il a su se mettre les joueurs dans la poche en augmentant leurs émoluments à son arrivée. Nigel Winterburn: « Arsène a estimé très rapidement que les salaires n’étaient pas assez élevés compte tenu des objectifs qu’il voulait atteindre».

Dans sa biographie d’Arsène Wenger, John Cross décrit un homme intelligent qui connaît bien son métier mais dont les principes se sont heurtés à l’évolution du football : « Il est vif d’esprit, cultivé et intéressant, loin de l’entraîneur en survêtement typique, hurlant ses consignes aux joueurs pour tenter de les motiver (…). Il fait appel à un psychologue et met un point d’honneur à connaître la mentalité et les motivations d’un joueur avant de le recruter« . Et même si l’auteur est supporter d’Arsenal (ou justement parce qu’il aime ce club), il porte tout de même un regard critique sur la fin de règne du Frenchie.

Bien aidé par Patrick Vieira qui a impressionné ses nouveaux coéquipiers, Wenger a pourtant rapidement connu le succès, devenant célèbre pour le recrutement de joueurs étrangers à fort potentiel (comme Anelka). Ce qui lui a permis de bâtir une équipe trois fois championne d’Angleterre entre 1998 et 2004. Robert Pirès qui a choisi Arsenal plutôt que le Real grâce à Wenger : « ça a été un honneur de travailler tous les jours avec Arsène. C’est un grand pédagogue. Il vous apprend toujours quelque chose, tactiquement ou techniquement« . La saison des Invincibles (2004) marque d’ailleurs l’apogée (le début de la fin aussi) d’Arsenal. Gilberto Silva sur la rotation de l’effectif en 2004 : « On avait de tels talents ! La chose la plus dure, c’était de faire jouer tous ces gars et de gérer les joueurs talentueux qui restaient sur le banc. Arsène savait s’occuper du gars qui était régulièrement titulaire mais aussi de tous les autres« .

Ensuite est venu le temps de la déconfiture, Arsenal a perdu de sa puissance, a manqué de leaders et a trop misé sur des jeunes qui n’avaient pas la carrure de leurs aînés. Cette dégringolade sportive est évidemment présente dans la biographie qui ne se contente pas de dresser des louanges à Arsène Wenger. L’auteur revenant également sur ses joutes verbales avec Ferguson et Mourinho, ses relations avec les tabloïds anglais (rumeurs de pédophilie…) et donc sur les échecs sportifs, dont la finale de la Ligue des Champions en 2006 contre Barcelone. Quoi qu’il en soit, le coach est resté fidèle à Arsenal malgré des appels du pied du Real, de Paris…  » Ce club m’a donné une chance. Je pense que j’ai fait preuve de loyauté, lors que le club connaissait des phases délicates, en refusant beaucoup d’opportunités et en acceptant de travailler avec un potentiel réduit. Et ce, en sachant que je devais rester au top« . Pendant la construction de son stade, Arsenal a en effet réduit la voilure et resserré les cordons de la bourse des transferts.

L’auteur explique donc que c’est autant par philosophie que par nécessité qu’Arsenal a regardé ses rivaux garnir leurs armoires à trophées.  » S’ils sont admirables, les idéaux de Wenger ont fait prendre du retard à Arsenal, qui cherche désespérément à le rattraper depuis« , écrit-il. Malgré des recrutements onéreux depuis (Özil, Sanchez…) et au moment où Arsenal ne disputera pas la prochaine LdC pour la première fois depuis vingt ans, la sentence est cruelle… On sent même que le journaliste se fait du mal quand il donne son avis sur le Français : «  Tout le monde apprécie Wenger en tant qu’homme (…). Wenger l’entraîneur n’est tout simplement plus l’entraîneur qu’il a été il y a huit ou neuf ans. Pour continuer de le penser et essayer de le comparer à quelqu’un comme Mourinho, il faut vivre dans le monde des Bisounours« .

[well_tb]Ce pavé (388 pages) retrace comme son nom l’indique, 20 ans de la carrière d’un homme et d’un club qui lui sera à jamais associé. Qu’il remporte ou non sa 7e Cup (contre Chelsea samedi 27 mai), qu’il quitte ou non son poste, ce livre s’impose en tout cas comme l’ouvrage de référence sur les années Wenger. Remplie de témoignages, cette biographie s’adresse évidemment aux fans des Gunners mais plus globalement à tous ceux qui veulent comprendre la philosophie d’Arsène Wenger et la construction d’un club.[/well_tb]

Interview de Kevin Jeffries, traducteur de cette biographie écrite par l’anglais John Cross et publiée en France par Talent Sport.

Peux-tu te présenter et expliquer comment tu as été amené à traduire ce livre ?

Avant toute chose, je suis un grand passionné de foot et de culture. Après des études d’anglais et de professeur des écoles, j’ai tout arrêté pour tenter ma chance dans le football. J’ai écrit pour différents sites avant d’avoir l’opportunité de rejoindre le LOSC, puis RMC. Je suis désormais Data Editor chez Opta, l’agence de statistiques spécialisée dans le football.

Comme je l’évoquais précédemment, je consacre énormément de mon temps au football, que soit le visionnage de matches ou de documentaires, la lecture d’articles, de livres… En début d’année, après avoir lu Invincibles d’Amy Lawrence, j’ai souhaité le traduire et ai donc proposé mes services pour en faire autant. Emmanuel Laureau, de Talent Sport, m’a alors soumis l’idée de traduire la biographie de Wenger plutôt qu’Invincibles. Après un essai concluant, je me suis lancé dans la traduction, un travail de moine, a fortiori quand on a un emploi à temps plein, tout en étant une expérience enrichissante. Notons par ailleurs qu’Olivier Bougard a également traduit une partie du livre.

Au-delà des compétences linguistiques requises, un tel travail de traduction suppose-t-il de bien connaître le sujet et d’échanger avec l’auteur ou le sujet du livre ?

Les compétences linguistiques sont évidemment primordiales. Peu de mérite me concernant sur ce point, ayant un père anglais. Pour le reste, il est indispensable de connaître le sujet. Tout d’abord car il y a un champ lexical propre au football, des termes spécifiques. Ensuite, car on perçoit assez rapidement le décalage entre quelqu’un qui n’est pas amateur de ballon rond et quelqu’un qui l’est. A titre d’exemple, Une Saison de Vérone de Tim Parks est un chef d’oeuvre de la littérature foot, mais la traduction française laisse parfois à désirer, ce qui a tendance à laisser un gout amer au lecteur, sans altérer pour autant la qualité de l’ouvrage. Pour ma part, j’avais déjà lu la version anglaise de la biographie de Wenger avant de la traduire officiellement car je suis un grand amateur des Gunners. Malheureusement, je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer / discuter avec John Cross, en espérant que ce ne soit que partie remise.

Etant un supporter d’Arsenal qui connaît donc parfaitement l’ère Wenger, souhaites-tu qu’il quitte le club ?

Question délicate. J’ai comme un sentiment de culpabilité dès que je critique Arsène Wenger. Il a tellement oeuvré pour le club. Tout ce dont le club dispose aujourd’hui, que ce soit l’Emirates Stadium, le centre d’entraînement à London Colney, l’identité de jeu (le Wenger Ball), on le doit à Arsène Wenger. Ceci étant dit, je pense qu’il n’a pas su s’adapter à l’arrivée des nouveaux riches (Chelsea, Manchester City) et d’une nouvelle génération d’entraîneurs, nettement meilleure tactiquement notamment, quand l’Alsacien fait avant tout confiance à ses hommes. Au fond de moi, j’aurais aimé qu’il quitte le club sur une bonne note, après le sacre en FA Cup en 2015. J’ai grandi avec Wenger à la tête d’Arsenal, j’ai de fait peur que ces dernières années, vraiment moyennes à plusieurs niveaux (résultats, recrutement…), entachent son oeuvre. Comme l’était affiché sur des banderoles dans l’enceinte nord-londonienne, « Arsène, thanks for the memories, but it’s time to say goodbye« .

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