« Joueur, fils de pub, consultant, sélectionneur, patron de Coupe du monde, dirigeant, président de confédération, sujet de buzz… Michel Platini n’a pas cessé de s’enfoncer dans le football jusqu’au cou ». En faisant parler cette personnalité multiple, Gérard Ernault (ancien directeur de la rédaction de France Football et de L’Equipe) balaie toutes les facettes du ballon rond dans son livre-interview Michel Platini, parlons football (éditions Hugo&Cie), publié ce jeudi 16 octobre.
Rédigé dans un langage distingué, telle une conversation entre deux gentilshommes, le texte raconte comment Michel Platini conçoit le football à travers des réflexions presque philosophiques: les fondamentaux et les règles du jeu, l’universalité du football, la sémantique avec sa préférence de dernière passe au lieu de passe décisive, la trop grande importance accordées aux statistiques, les évolutions tactiques, les critères du Ballon d’Or, les enjeux économiques et les impacts sociétaux, la violence dans le sport… Plus qu’une interview, c’est une conversation où Gérard Ernault se montre parfois tout aussi (voire plus) bavard que l’international français pour décrypter le football dans toutes ses composantes à travers une multitude d’anecdotes vécues durant leurs carrières respectives. Ensemble, ces deux amoureux du football créent un débat d’une grande richesse qui « intellectualise » ce sport.
Entre biographie et psychanalyse, le Champion d’Europe 1984 se dévoile un peu dans ce voyage en « Platiniland » et revient sur les moments clés de son parcours et plus globalement sur l’histoire du football : » Le football est le ciment de ma vie. Et pourquoi est-il aussi le ciment de millions d’autres vies? ». L’interview livre aussi quelques petites phrases de celui que le journaliste décrit sans aucun doute comme le meilleur joueur de l’histoire du foot français. En voici quelques-unes que nous vous proposons de A à Z.
Aléatoire. La part de chance par rapport à la logique sportive revient souvent dans le livre à l’image de cette citation : « C’est le seul jeu où le plus fort n’est assuré de rien. Ni du titre, ni du match, ni même du prochain quart d’heure. Du lendemain, n’en parlons pas ».
Blanc. Il ne s’agit pas d’un commentaire sur l’entraîneur du PSG mais de la couleur du carton que Michel Platini voudrait instaurer pour protéger l’arbitrage : « Cette manie de la contestation de l’arbitre est une plaie. Elle tend le match et répand de véritables épidémies dans le football de masse. On ne peut plus la laisser passer. Pour la réprimer, je suis partisans de la création d’un carton blanc. Consacré à la contestation de l’arbitre, ainsi qu’aux comportements un peu trop revendicatifs et, en tout état de cause, non exemplaires, le carton blanc serait suivi d’une expulsion temporaire – une trêve – de dix minutes sur le banc ».
Coaching. Quelle valeur accorder au coaching et notamment quel mérite en cas de coaching gagnant ? « Je me demande ce qui tient à l’innovation et ce qui tient à l’illusion ou à l’imposture » questionne Gérard Ernault. « L’imposture est plutôt celle du sélectionneur que j’étais et qui, je vous en fais l’aveu, décida à la pièce, un jour de match France-Ecosse, lequel de Rémi Garde ou de Didier Deschamps allait entrer. La rencontre, de toute façon, était jouée ». La France s’imposa 3-0 et c’est l’actuel sélectionneur qui était entré en jeu à la 81e minute.
Dopage. L’éradication du dopage fait partie des priorités de Michel Platini pour obtenir un football plus responsable : « Depuis l’Euro 2008 ont été mis en place les premiers contrôles sanguins. Nous les avons étendus aux matchs de compétitions de clubs. Très prochainement, ce sera le tour des contrôles a posteriori – plusieurs années après, sur des échantillons prélevés lors des compétitions. Et nous travaillons à la faisabilité des passeports biologiques. En ce moment même, des tests sont réalisés sur nos compétitions ».
Eloge de la simplicité. Questionné sur une formule de Bill Shankly : « Le football est un jeu simple rendu compliqué par des gens qui n’y connaissent rien », Michel Platini reformule à sa façon cet adage : « Le football est un jeu d’apparence très simple, mais très complexe en vérité, dont la grande complexité réside justement dans l’art et la manière de la simplifier ».
Fair-play. Une ligue fermée, ce ne se fera probablement pas sous Michel Platini : « Il m’est suggéré, à l’occasion, de conduire une réflexion sur le développement d’une compétition fermée. Je ne me félicite pas, vous le pensez bien, que l’on en arrive à de telles hypothèses (…). Je m’y suis d’autant moins converti que je viens de mettre en place le fair-play financier, justement destiné à garder la compétition ouverte. (…) La fonction de l’institution sportive est d’abord d’attirer le maximum de compétiteurs au pied de la pyramide, de leur donner l’envie d’en effectuer l’ascension, voire de les convaincre de la possibilité de parvenir les premiers au sommet… (…) L’UEFA n’entend pas limiter les budgets. Elle dit simplement : votre financement est assuré par l’argent que vous générez et non par celui dont vous ne disposez pas ; votre budget est le fruit de ce que vous retirez de votre activité sportive ».
Gagner. Il devient de plus en plus difficile pour certains clubs de gagner un trophée, tellement les grandes écuries en ont aujourd’hui le monopole, regrette Michel Platini qui en appelle à la régulation : « Depuis le début du XXIe siècle, sept clubs sur les cent relevant des cinq grands championnats nationaux (Allemagne, Angleterre, Espagne, France, Italie), soit 7%, ont remporté 70 % des titres mis en jeu. Je ne sais plus si c’est du sport ou du monopole ». Ces clubs se nomment Manchester United, le Bayern, le Barça, le Real Madrid, la Juventus, l’Inter Milan et Lyon.
Heysel 85. Interrogé sur sa joie suite à son but victorieux (sur pénalty) lors de la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions contre Liverpool, alors que les échauffourées entre les supporteurs ont provoqué l’effondrement d’une tribune (38 morts) du stade bruxellois, Platini répond : » Si mon comportement relevait d’une science particulière, c’était davantage de la psychiatrie que de la philosophie. Une précision importante toutefois : je savais, nous savions donc qu’il y avait des morts. Mais trente-huit ? Certainement pas. Un, deux, trois peut-être, et j’ai bien conscience, disant cela, de heurter certaines sensibilités, voire d’aggraver mon cas. (…) Nous ne soupçonnions pas l’échelle de la tragédie. Nous l’avons découverte le lendemain, comme beaucoup de spectateurs du Heysel d’ailleurs ».
Individuel et collectif. Le foot est un sport collectif où ce sont les individus qui brillent. « Johan Cruijff est, avec Pelé, le plus parfait joueur que j’aie pu voir en action. Même si je tiens à dire, et je le dirai tant qu’il le faudra, jusqu’à mon dernier souffle sûrement, qu’il n’y a pas de grand joueur sans grande équipe et de grande équipe sans grand joueur ». Sur l’artiste brésilien, il ajoute – et on comprend qu’il le préfère à Maradona – « C’est LE football. C’est Dieu. Pelé ne joue pas, il vole entre ciel et terre ». La feinte de Pelé, sans toucher le ballon, reste un grand moment pour lui même s’il n’y a pas eu but, tout comme sur la tête arrêtée par Banks. Quand il pense au Néerlandais, dont il est frappé par la fougue, la vitesse, la créativité et la discipline, il y associe automatiquement la découverte du football total de l’Ajax de Rinus Michel avec son mouvement collectif parfait : « Ils prolongent à l’infini ce que j’ai vu faire au seul Kubala. Ils sont dix Kubala qui se trouveraient les yeux fermés. Ils jouent aveuglément les uns pour les autres… ».
Joueur. Au-delà de l’importance du collectif, Michel Platini semble insister sur la prépondérance du joueur en tant qu’individu : « Mon idée est que le joueur doit être le patron sur le terrain, et non le jouet de quiconque. Je vais même aller plus loin : on n’a pas inventé un jeu aussi fluide pour le voir interrompu par six changements, et ainsi plus ou moins détourné de son cours. (…) Mon plaisir réside dans le geste du joueur. Mon émotion naît du geste du joueur. Et c’est pourquoi ce geste doit être protégé de toutes les atteintes possibles, même les plus innocentes d’apparence ».
Kubala. Ce n’est pas le footballeur le plus connu du grand public et pourtant son nom revient si souvent dans le livre. Michel Platini semble presque vouer un culte à l’Hongrois qui joua au Barça dans les années 50′ : « Lazlo Kubala, ce fut la révélation de ce que devait être une sorte de joueur ou de jeu idéal. Et je ne me suis employé à rien d’autre qu’à vouloir refaire ce que j’avais vu faire à Kubala (…). Imiter ce qu’avait réalisé Kubala aura pris mon temps et, surtout, m’aura pris la tête à un point que vous ne pouvez imaginer ».
L’Euro 2020. Pourquoi une telle compétition organisée sur tout le continent ? « Je le vois comme un moment symbolique dans l’histoire du football européen et du continent en lui-même. L’Euro aura 60 ans, l’Europe elle-même en aura 70. Et c’est l’occasion ou jamais que le football soit à l’unisson de son continent, de son histoire, au travers d’une large distribution de la compétition au plus grand nombre de ses pays (…). On amènera donc l’Euros aux fans plutôt que les fans à l’Euro ».
Mondial 98. En tant que co-président de l’épreuve organisée en France, Michel Platini a vécu une révélation et esquissé ses futures fonctions à la tête du foot européen : « Pour la première fois, hissant mon niveau de jeu et de réflexion, je me suis demandé s’il n’était pas aussi important d’être dirigeant que d’être joueur ». Toutefois, il a d’abord été obligé de comprendre la politique des hautes instances sportives avant de devenir président de l’UEFA, neuf ans plus tard.
Numéro 10 ? Il n’avait plus de carburant en 1987, à 32 ans. Il aurait pu continuer en reculant à la Andrea Pirlo, voire en passant libéro à la Franz Beckenbauer, mais il aurait alors été beaucoup trop loin du but, une véritable obsession chez Michel Platini : « J’étais un avant-centre avant tout. Je n’ai été un 10 que d’occasion. Les circonstances d’un remplacement ont fait que je suis devenu un 10, tirant parfois sur le 9 1/2, comme le gris clair tire sur le gris foncé. Mais je n’ai guère regretté le numéro de mon maillot, du moment que je pouvais marquer et, à côté, faire deux ou trois autres choses utiles à l’équipe aussi. En 1987, durer n’était pas un problème. Mais durer en marquant… ».
Opinion. Tout va très vite dans le football, Michel Platini ne dit pas le contraire, rappelant la versatilité des avis, de la presse ou du public : « J’ai été encensé. J’ai été controversé. J’ai connu le yoyo de la popularité. Un soir d’équipe de France, je suis tout de même sorti, en cours de match, sous les sifflets du Parc des Princes. Mais bien entendu, nous étions à dix mille kilomètres de certaines exagérations et de certains délires d’aujourd’hui ».
Présidence de la FIFA. Que pense le président de l’UEFA du pouvoir de l’administration du football et notamment des hommes comme Joao Havelange et Joseph Blatter à la tête de la FIFA? « Présidentialisée à l’extrême, la concentration de tous les pouvoirs tourne toujours, plus ou moins, à l’absolutisme. Mais sans le pouvoir économique, un tel absolutisme n’aurait jamais vu le jour. Il se serait contenté de faire des moulinets. La poule aux œufs d’or de la Coupe du monde a établi l’autorité de la FIFA. Pour paraphraser Audiard : quand une administration pesant des millions de dollars parle, les administrations pesant trois francs six sous l’écoutent (…). La présidentialisation de la FIFA est née avec Havelange, et Blatter n’a fait que se couler dans les habits de son maître. (…) La FIFA est comme saisie du vertige de la gestion pour la gestion, de l’administration pour l’administration, de l’autorité pour l’autorité. Je crois que le champ de l’administration de la FIFA est à revoir ».
Qatar. Michel Platini défend l’organisation de la Coupe du monde 2022 en hiver au Qatar, mais il ne conteste pas formellement la tenue des matchs dans des stades fermés et climatisés : « L’air libre… De plus en plus de grands stades de par le monde s’équipent de toits qui les empêchent justement de prendre l’air pour mieux les empêcher de prendre l’eau. Se protégeant du soleil ou de l’eau, selon les régions du monde les ayant vu naître, les stades seront de plus en plus des serres artificielles ».
Rêve. Le style de jeu du Barça sous Guardiola laisse Michel Platini rêveur à l’image de la finale de la coupe du monde des clubs contre Santos en 2011 (4-0 dont le premier but de Messi conclut en beauté une action typique de conservation du ballon) : « Le Barça, c’est un football total technique, habileté, rapidité, légèreté, à rebours des idées reçues, presque anachronique. Guardiola et le Barça ne sont pas révolutionnaires que dans la proposition du jeu, c’est exact. Ils le sont dans le fait de n’établir aucune discrimination entre les gabarits des joueurs ».
Séville 82. « Pour autant que j’aie un regret, il réside moins dans la continuité d’une attitude à 3-1 que dans une accumulation de détails négatifs ». Coaching, tactique… il donne quelques pistes qui ont influé, au-delà de l’affaire Schumacher/Battiston, sur ce match. Une défaite française qui reste le plus grand souvenir de sa carrière, une véritable épreuve de la vie pour lui.
Travail. Pas besoin de beaucoup de travail à l’entraînement pour établir une liaison footballistique de qualité entre deux joueurs. Michel Platini illustre son propos par sa complicité avec Zbigniew Boniek, l’international polonais de la Juventus : « C’était bien le bout du monde si nous y consacrions deux ou trois minutes pour ne pas perdre la main, et encore. Le football ne répète jamais ses situations à l’identique. Il en appelle à l’improvisation, à l’intelligence de jeu ».
Utopie. Idéaliste ou en tout cas en campagne, Michel Platini se cite lors de son discours de candidature à la présidence de l’UEFA : « le football est un jeu avant d’être un produit. Le football est un sport avant d’être un marché. Le football est un spectacle avant d’être un business ».
Vidéo. S’il comprend les enjeux économiques du football actuel, Michel Platini rêve d’un match le plus fluide possible, avec le moins de temps mort possible. D’où son opposition totale à l’arbitrage vidéo : « A supposer totale la fiabilité même du système électronique (…), le recours à la vidéo présente, pour résumer, le risque d’un double reniement du football. Reniement structurel : il brise l’élan d’un jeu par nature fluide et incessant. Reniement culturel : il confie le destin d’un jeu humain au bon vouloir de la machine. (…) On me parle du but refusé à Lampard lors du Mondial 2010, du but accordé à Hunt en 1966 et de quelques autres. Mais modifie-t-on un sport pour dix, vingt décisions objectivement erronées en cinquante ans ? Sauf à installer la vidéosurveillance sur l’ensemble du parcours du football, jamais nous ne parviendrons à établir une justice parfaite. Et pour autant que cette expression ait un sens. En revanche, nous aurons détruit la structure du football ».
WM. Les deux protagonistes décryptent les évolutions tactiques du football et parmi elles, le WM: une formation de jeu 3-2-2-3, créée dans les années 20 en Angleterre. « Quand on superpose les deux lettres, la figure du WM offre une perfection d’équilibre, à la fois dans l’occupation du terain (W pour la défense, M pour l ‘attaque) et dans la répartition des tâches. On ne fera pas mieux en géométrie, symétrie et symbolique. Avant le système, les hommes, je me tue à vous les dire… On se croit partis pour l’éternité, sous la protection d’une figure aussi parfaite. L’éternité durera 35 ans. Le temps que naisse une nouvelle perfection dans son genre, le 424 hongrois, reconnu comme l’auteur de l’assassinat du WM et de l’Angleterre le 25 novembre 1953. (…) Les Hongrois avaient introduit quelque chose de plus encore : l’animation de cette figure. Le WM était du dessin. Le 424 du dessin animé ». Pour comprendre cette victoire 3-6 des Hongrois, lisez les Cahiers du Football et regardez ce résumé.
Xavi. Le rôle crucial du milieu de terrain selon Michel Platini : « Je vois le joueur de milieu comme un homme (ou une femme) à tout faire, quelquefois à tout bien faire : défendre, récupérer, distribuer, attaquer. Dans le meilleur des cas, vous vous nommez Xavi, Giresse, Netzer, Neeskens, Gerrard, Tigana ou Schuster que je trouvais exceptionnel en tout. Le bon milieu distribue le courrier. Le très bon milieu distribue le courrier et attaque la banque ».
Yeux. La vision du jeu est primordiale chez Michel Platini qui a cherché à voir plus vite que les autres joueurs. Il raconte comment il a vu Kubala briller avec le Barça à Metz, au Stade Saint-Symphorien à l’âge de 8 ans : « Ce jour-là, Kubala a sollicité la balle côté gauche et, sans qu’elle touche terre et sans un regard, d’un seul contrôle du gauche, l’a transmise côté droit, à une quarantaine de mètres dans les pieds d’un partenaire (…). Mon père me disait : si tu veux faire comme Kubala, il faut voir avant. Entraînement : je visualisais l’ensemble des positions occupées sur le terrain. Alors je fermais les yeux et je repositionnais les habitants du paysage. Et j’ai bien fait cela jusqu’à 15 ans ».
Zinedine Zidane. Si Gérard Ernault estime qu’il n’y pas de match entre Zizou et Platoche, notamment en raison du fameux coup de boule sur Materazzi, Michel Platini est lui beaucoup plus prudent dans le choix de ses mots et explique que le rôle des deux stars françaises était bien différent. Tout juste ose-t-il reprocher à ZZ le fait de ne pas avoir été un tueur sur le terrain, comme peut l’être Messi face au but. « Je vous laisse à vos classements et à vos spéculations. (…) Je jouais un peu partout, libre comme peut l’être un Wayne Rooney, par exemple. Je ne crois pas que Zizou ait disposé de tout ce champ d’action. Il aura davantage été un joueur en liberté surveillée. (…) Ce n’était pas un tueur comme j’ai pu l’être à ma façon ; c’était davantage un esthète. Au bout du compte, si vous voulez une comparaison, le jeu de Zidane était plus giressien que platinien ». Quant au classement qui fait de lui le meilleur joueur français du XXe siècle devant Zidane, il objecte que cette position pourrait être différente en prenant en compte le but du Madrilène en finale de la Ligue des Champions 2002 ou sa Coupe du monde 2006.
Michel Platini, parlons football (éditions Hugo&Cie, 315 pages, 17 €)