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Spectaculaires, cataclysmiques, frustrants : tant de superlatifs pour qualifier ces 90 minutes que chacun a vécues différemment. Ces moments où le supporteurisme de base est oublié pendant une fraction de seconde. Ces moments qui, contemplés par des millions de personnes parfois, vous sont chers et vous rendent fier. Chacun de ces moments ont beau être vécu différemment, ils possèdent entre eux un point commun, celui d’avoir un jour, fais vibrer le monde et l’histoire du foot français.
AS Cannes – Olympique Lillois (1932-1933)
La justification de la présence d’un tel match dans cette liste se base sur le critère de l’histoire. Si aujourd’hui nous vivons un championnat national comme nous le connaissons, c’est bien en petite partie grâce à ce match, bien que l’AS Cannes n’évolue plus à l’heure qu’il est, dans nos meilleures divisions et que l’Olympique Lillois n’existe plus, cette rencontre ne demeure pas moins celle qui a déterminé le premier champion de France professionel en titre de l’histoire.
Le premier championnat de France de foot en 1932 se heurte à deux notions nouvelles dans le pays ; la professionnalisation des clubs et des joueurs d’une part, l’organisation d’un championnat d’envergure nationale d’autre part. Pour la première édition du nom, le format de compétitions composant deux poules et d’une finale entre les deux premiers de chaque groupe verra s’affronter l’AS Cannes et l’Olympique Lillois dans un stade Yves du Manoir plein à craquer en finale. Au terme d’un match disputé, garni de buts, les supporters assisteront à la victoire dans les derniers instants du match des Lillois d’un doublé du français Georges Wincklemans. Ce match disputé se terminera avec pas moins de sept buts au total dont quatre pour les Lillois et trois pour les Cannois. Symbole du foot d’un autre temps, l’Olympique Lillois disparaît après sa fusion avec le Sporting Club Fivois le 23 septembre 1944 ainsi le nouveau club est baptisé « Stade Lillois ». Dénomination et fusion officiellement enregistré le 25 Novembre 1944.
Saint-Etienne – Bayern ( 76-77 )
« Les Verts ont été les détonateurs de tout dans le football français » disait Bernard Caïazzo, président du comité de surveillance de l’ASSE, en 2016 à l’occasion de l’anniversaire des 40 ans de la dernière finale européenne disputée par les verts. Tout d’abord rappelons ce qu’était le football français de l’époque, c’est à dire le néant. Les tricolores n’ont pu se qualifier pour les éditions 1970 et 1974 de la Coupe du Monde et leur dernière participation à une telle compétition remontant à 1966 n’est guère une fierté. En Coupe d’Europe, c’est le désert. Le football français d’avant 1974 est un être chétif s’abattant sur son sort et son époque. Et voilà que d’un coup surviennent les Verts. Pour une une première fois en demi-finale de Coupe d’Europe des clubs champions et l’année suivante, cette fois en finale à Glasgow.
Ce soir-là, au terme d’un match légendaire marqué par les poteaux carrés, c’est vingt millions de téléspectateurs français qui regarderont le match et ses rebondissements, ses joueurs de légende. S’ils se souviennent du résultat ? Oui mais, le marqueur d’identité national de l’époque qu’était les verts se souvient d’autre chose. En effet, au-delà d’une finale perdue par le plus court des scores, les Verts de 76’ c’était un peu les Bleus d’une génération qui n’en a jamais eu.
Saint-Etienne – PSV ( 79-80 )
Ce soir-là, pour goûter à la légende, il fallait être à Geoffroy-Guichard. Et il ne fallait pas arriver en retard… 2 minutes et 30 secondes à peine de joué dans l’antre des verts et l’ouverture sur le contre de Elie s’est créée, passe décisive pour J.F Larios qui fusille Van Beveren d’une frappe à ras de terre sur la gauche du gardien néerlandais pour le premier but d’une rencontre à sens unique ( 6-0 ) qui verra s’imposer par la suite les stéphanois de Robert Herbin, habitué depuis peu aux exploits européens de ses hommes si spéciaux, si fort.
Bien que qualifié comme l’une des plus belles victoires de l’histoire des verts par Roger Rocher en personne, il est assez paradoxal d’analyser un tel match et d’user de termes mélioratifs quand l’on sait que le parcours de ceux qui auront effacés le Widzew Lodz au tour précédent en cette même Coupe d’Europe ne s’achèvera qu’en quarts de finale face au Borussia Mönchengladbach, futur finaliste. En championnat, les Stéphanois termineront la saison à la 3e place, comptant trois petits points d’écarts avec les champions nantais, sans aucun titre en poche. 89e minute. Johnny Rep, si avide de revanche ce soir-là, comme un symbole ultime, tire la dernière cartouche et transforme son penalty d’un ultime coup de grâce. Le PSV, châtié, écrasé, humilié, éliminé pour la 3e fois de la Coupe d’Europe par ces maudits Stéphanois après la demi-finale de C1 1975-76 (1-0, 0-0) et le 8e de finale de C1 1976-77 (1-0, 0-0), est renvoyé chez lui, des démons verts plein la tête. Néanmoins, des démons dignes et à la hauteur des espoirs placés en lui. Ce soir-là, à Eindhoven, les angelots qu’étaient Valke ou Van Beveren baignaient dans l’Achéron.
France – RFA (1982)
« C’est la vie » titrait SoFoot pour baptiser la nuit de Séville comme on aime l’appeler plus à l’Est ( Die Nacht von Sevilla en Allemand ), c’était déjà il y a 30 ans, 30 ans que Schumacher et les autres privait la France de la finale de la Coupe du Monde 1982 au terme d’un scénario digne des plus grandes tragédies Hollywoodiennes. Si des attaquants comme Horst Hrubesch où Karl-Heinz Rummenigge expriment encore aujourd’hui une forte émotion au moment des confessions, c’est bien le triple Ballon d’Or français Michel Platini qui retrace le mieux le périple tricolore du 8 Juillet 1982 : « Aucun film au monde, aucune pièce ne saurait transmettre autant de courants contradictoires, autant d’émotions que la demi-finale perdue de Séville. » C’est pourtant bien au terrible épisode des prolongations que le match prend un véritable tournant, une pensée pour Patrick Battiston que le sort d’un match et d’une mauvaise sortie du gardien allemand Harold Schumacher réduira au néant tout espoirs au défenseur lorrain de se relever. Métaphorer et assimiler l’espoir et la persévérance à cette rigueur et cette mentalité allemande qui, au terme d’un match de 130 minutes, combattra par tout les moyens possibles l’idée de quitter une compétition dont ils venaient de perdre le titre.
Déjà en cet été 1982 le monde du foot français venait de vivre la première « remontada » de son histoire. Ces deux fois 15 minutes avaient pourtant, si bien débutés. La rêverie fut mise en place en pas moins de 10 minutes, les Bleus mettent les Allemands au tapis. Marius Trésor score d’une fabuleuse reprise de volée en pivot. Passeur, Giresse enfonce encore un peu plus des allemands déboussolés d’une course de folie. « A ce moment, je ressens une joie démesurée, indescriptible, se souvient-il pour 20minutes. Et je pense vraiment que ça y est, on est en finale. » Mais un problème intervient. Il n’est pas le seul et dans le lot, tous ne sont pas du même camp. Paul Fischer et K.H Rummenigge ramène l’Allemagne à égalité alors qu’ils étaient menés trois but à un, malgré ces déboires et les jambes lourdes, les français continuent d’attaquer. La fin de la prolongation tourne au martyre pour les Bleus, mais le score ne change plus. Pour la première fois de l’histoire de la Coupe du monde de football, un match va se jouer aux tirs au but. Les deux premiers tireurs de chaque camp plantent buts sur buts, le reste ? C’est celui que l’on dénomme l’Ange Vert qui le raconte : « Moi, je mets le troisième : un plat du pied sur la gauche de Schumacher. J’étais soulagé. Dans un moment comme celui-là, on fait abstraction des millions de spectateurs qui regardent. Au-delà de l’aspect technique, il faut faire le vide. Juste après moi, Stielike rate : on est bien, là ! Mais Six rate aussi… Après, j’ai le souvenir de Maxime Bossis accroupis après sa frappe repoussée par Schumacher… Puis Hrubesch qualifiant l’Allemagne. On avait le sentiment d’avoir tout fait, mais on avait aussi un dur sentiment d’injustice… »
France – Espagne ( 84-85 )
‘No pasa nada, tenemos a Arconada‘.
Début de match, Santiago Urkiaga se montre dangereux par ses centres et sur une passe latérale de Santillana de la tête, la frappe de Víctor Muñóz passe non-loin du second poteau. La France est surpassée par les évènements et n’arrive pas à cerner un adversaire dont les attributs sont aussi bien physiques que technique. Les Français sont tendus et s’ils le sont c’est parce qu’ils se sentent obligés de gagner. Après la terrible déconvenue de 1982, c’est une sorte de revanche que d’espérer voire la France remporter, à domicile, sa première grande compétition. Michel Hidalgo voit en ce match, le dernier col d’une montagne à gravir, « Il restait une marche, la plus dure » entendra-t-on dans le vestiaire de la « troupe à Platoche ».
Mais les Espagnols se voient bientôt obligés de recourir à des moyens moins catholiques pour garder leur but inviolé. Victor commet une faute sur Luis Fernandez, Julio Alberto Moreno abat Jean Tigana, 29eme minute de jeu, Francisco Carrasco et Ricardo Gallego écopent coup sur coup d’un carton. Les bleus se font « roulé dessus », ces derniers ne se créeront plus aucunes occasions jusqu’à la mi-temps. (Accueillie avec soulagement par les tricolores.)
57e ; Tacle musclé d’un espagnol, Bernard Lacombe s’effondre : Coup-franc. Comble de dérision pour un tournoi aussi délirant, tout se décide sur une erreur, la plus grave de la carrière du fautif. C’est à la limite de la surface de réparation que tout se joue. Michel Platini prend le ballon, lui qui était le tireur incontesté de cette équipe qui arborait ce jour-là, un maillot bleu aux barres horizontales rouges et blanches. Le coup de pied n’est pas un modèle du genre néanmoins la balle contourne le mur à mi-hauteur et tombe quasiment dans les mains d’Arconada. Le meilleur gardien espagnol de l’histoire croit plaquer la balle contre le sol. La suite, tout le monde la connaît. Le poste de gardien, quel rôle ingrat.
Plus tard après la frappe de Lacombe repoussée par Arconada, Alain Giresse rate le cadre alors que Platini est tout près de conclure d’une tête rageuse. Les Espagnols abordent la demi-heure qui reste sur le mauvais pied. Commence alors un tout autre match. Ce sont maintenant les Français qui s’appliquent à défendre rugueusement, à rebours de leur habituelle idée de jeu « brésilienne » comme beaucoup aimait l’appeler à l’époque. Les minutes s’égrènent et la France subit les assauts espagnols sans fléchir. Cette fois, c’est tout pour l’attaque pour les hommes de Miguel Muñoz. Toutefois, les courses et contres espagnols créent des espaces monstres, c’est ainsi que Tigana, le meilleur joueur du Tournoi malgré les buts et le titre de meilleur buteur de Platini, envoie Bruno Bellone dans l’espace pour, pourquoi pas, enregistrer le premier but français à être marqué par un attaquant. 90e minute, Bruno Bellone, part seul défier le gardien espagnol. « Face à moi, Arconada joue bien le coup. Il ne plonge pas, cet enfoiré, il attend. Si je frappe fort, je vais lui taper dedans. Alors je la pique au dernier moment. » Le stade exulte, les joueurs s’enlacent, Luis Fernandez pointe, hilare, le tableau d’affichage à des espagnols éreintés. En revanche, le contexte économique et politique de la France était au moins aussi délétère que celui d’aujourd’hui. De la même manière, le pays avait les nerfs carrément à vif. Dans le mois de Juin, en marge du football, l’actualité avait été, il est vrai, particulièrement brûlante. Tandis que Vingt-quatre heures après le triomphe, le 20h d’Antenne 2 avait déjà relégué le sacre tricolore à la fin de son journal, après le dépôt de bilan de Creusot-Loire, les déboires de la loi Savary et le conflit Israélo-Palestiniens. La « folie et déraison » du football, pour reprendre le livre de Michel Foucault, mort le 25 juin 1984 en plein Euro, n’avait pas encore touché la France… La France championne d’Europe.